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Contes d'Asie

Les contes d’Asie regroupent aussi bien les contes chinois et japonais que tibétains, mongols, thaïlandais, vietnamiens… Nourris de cultures riches et diverses, ils donnent un aperçu de l’Asie et de ses légendes...

© Les contes sont la propriété de leurs auteurs.

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Contes asiatiques

Le chevreau de l’année est là devant sa mère. Il se dresse et apprend à tirer sur des feuilles basses. Il fait comme elle fait aux branches hautes, il fait tout comme elle. Elle est là, il la voit, elle le voit, tout va bien. Et puis voilà qu’il ne la voit plus. Elle lui est cachée par des herbes plus hautes que lui. Il s’affole, il crie, il gueule, il est perdu. Sa petite vie s’effondre. Sa mère ne lui répond pas puisqu’elle le voit, puisqu’il est là et qu’elle est là. Quand même, elle pourrait bien le rassurer ! Mais le rassurer de quoi puisqu’il n’est pas perdu, puisqu’il est là tout près, puisqu’elle le voit. Alors quoi ?

Ainsi en est-il de nous, affolé, abandonné, quand l’être cher si proche a disparu, qu’on ne le voit pas, qu’il ne nous répond plus. On le croit perdu, mais lui est là à se demander ce qu’on a, nous, à gueuler comme des perdus.

Il suffit pourtant de faire quelques pas dans l’herbe haute pour se retrouver. On ne se voit peut-être plus, mais on peut s’entendre. Il suffit de se calmer, d’écouter, de continuer à manger, à vivre.

Extrait de : Marie Faucher – Contes des sages qui guérissent.

Lorsque le Sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. (Proverbe chinois.)

Lorsque Le Sage explique que son doigt n’a aucune importance et que c’est la lune qui est intéressante, l’imbécile écoute le Sage et trouve qu’il parle vraiment bien. (Variante moderne de ce proverbe.)

Lorsque le Sage exige de l’imbécile qu’il regarde cette « bon sang de lune », l’imbécile a peur mais ne lève pas la tête. (Variante très moderne de ce proverbe.)

Lorsque le Sage finalement renonce à parler de la lune, et lance la conversation sur son doigt qui après tout semble intéresser l’imbécile, ce dernier se dit que le Sage est un homme qui sait se faire comprendre et parler de tous les sujets, même les plus incongrus. Comme les doigts. (Variante encore plus moderne dudit proverbe.)

Lorsque le Sage est mort, l’imbécile se demande : « Mais au fait, de quoi voulait bien nous parler le Sage quand il dressait le doigt si haut au-dessus de sa tête ? » (Variante définitive dudit proverbe.)

Extrait de : Bernard Werber – Paradis sur mesure.

Ts’ui Kiu demanda à Lao Tseu :

– Comment améliorer les êtres sans les gouverner ?

– Soyez attentifs à ne pas troubler leurs esprits, répondit Lao Tseu. Car l’esprit de l’être humain est ainsi fait qu’il se sent opprimé par toute pression et exalté par toute incitation. Opprimé, il se sent emprisonné. Exalté, il peut commettre des ravages. Souplesse et gentillesse l’emportent sur la dureté et la violence qui gèlent comme la glace ou brûlent comme le feu.

Extrait de : Tchouang Tseu – Aphorismes et paraboles.

Chouai l’artisan traçait des cercles avec sa main aussi parfaits qu’avec le compas. Ses doigts s’accommodaient naturellement à la forme des choses qu’il élaborait sans qu’on ait l’impression qu’il fixe son attention. Son habileté venait de la liberté de son esprit qui se mêlait aux formes.

De bonnes chaussures font oublier les pieds. Une bonne ceinture fait oublier les reins. Oublier la distinction entre le pour et le contre permet à l’esprit de s’adapter parfaitement aux influences intérieures ou extérieures en s’oubliant dans l’acte.

Extrait de : Tchouang Tseu – Aphorismes et paraboles.

Dans l’écrin d’une forêt de pins odorants aux reflets de jade était enchâssé un petit temple de montagne où vivaient un vénérable moine et sa poignée de disciples. Le bonze avait atteint un si haut degré d’éveil qu’il pouvait plonger son regard au-delà du miroir du lac des apparences. Un matin, après sa séance de zazen, il vit sur le visage de l’un de ses moinillons les signes de la mort. Il comprit que le pauvre garçon n’en avait plus pour longtemps à vivre. Pris de compassion pour ce destin funeste, sans doute dû à un mauvais karma, résultat de fautes commises dans ses vies antérieures, il lui donna un mois de congé pour passer ces derniers jours avec ses parents. Puis il le confia à quelques pèlerins de passage qui se rendait dans sa ville natale.

Un mois plus tard, le moinillon fut de retour au temple. Visiblement, il était plein de vie. Le vieux moine, tout en lui demandant s’il avait fait bon voyage et avait bien profité de son séjour, l’observa attentivement. Quelque chose avait changé. L’ombre de la mort semblait l’avoir quitté. Comment était-ce possible ? Avait-il mal lu les signes ? Voulant en avoir le cœur net, il invita le moinillon à lui raconter ce qu’il avait fait depuis son départ. Et le garçon décrivit son périple à travers les montagnes, les marches harassantes, les bivouacs, la périlleuse traversée des torrents, la beauté des paysages, la joie de retrouver sa famille…

– Bien, l’interrompit le Vénérable, mais n’as-tu pas oublié de mentionner une bonne action que tu aurais faite ?

– Ah oui, quand je marchais sur les sentiers, je me suis souvenu de vos préceptes. Je prenais bien soin d’éviter d’écraser les insectes. Et je me faisais souvent gronder par les pèlerins qui trouvaient que je ne marchais pas assez vite !

Alors, le vieux moine laissa fleurir dans l’écrin soyeux de sa barbiche le lotus de son radieux sourire. Il ne s’était donc pas trompé. Son disciple avait changé son karma en faisant preuve de vigilance et de compassion !

Extrait de : Pascal Fauliot – Contes des sages zen.

Un conte pour oser être soi

Tang était un petit ouvrier dans un royaume d’Orient. Il travaillait le cuivre et fabriquait de magnifiques ustensiles qu’il vendait sur le marché. Il était heureux de vivre et se sentait à sa place. Il n’attendait plus que de trouver la femme de sa vie.

Un jour, un envoyé du roi vint annoncer que celui-ci désirait marier sa fille au jeune homme du royaume qui aurait le coeur le plus pur. Au jour dit, Tang se rendit au château et il se trouva au milieu de plusieurs centaines de jeunes prétendants. Le roi les regarda tous et demanda à son chambellan de remettre à chacun cinq graines de fleurs, puis il les pria de revenir au printemps avec un pot de fleurs issues des graines qu’il leur avait fait remettre.

Tang planta les graines, en prit grand soin, mais rien ne se produisit, pas de pousse, pas de fleurs. À la date convenue, Tang prit son pot sans fleur et partit pour le château. Des centaines d’autres prétendants portaient des pots remplis de fleurs magnifiques et ils se moquaient de Tang et de son pot de terre sans fleurs.

Alors le roi demanda à ce que chacun passe devant lui pour lui présenter son pot. Tang arriva, un peu intimidé devant le roi : « Aucune des graines n’a germé votre majesté », dit-il. Le roi lui répondit : « Tang, reste ici auprès de moi ! »

Quand tous les prétendants eurent défilé, le roi les renvoya tous, sauf Tang. Il annonça à tout le royaume que Tang et sa fille se marieraient l’été prochain. Ce fut une fête extraordinaire ! Tang et la princesse devenaient toujours plus amoureux l’un de l’autre. Ils vivaient très heureux.

Un jour, Tang demanda au roi, son beau-père : « Majesté, comment se fait-il que vous m’ayez choisi pour gendre alors que mes graines n’avaient pas fleuri ? »

Le roi répondit avec malice : « Parce qu’elles ne pouvaient pas fleurir, je les avais fait bouillir durant toute une nuit ! Ainsi, tu étais le seul à avoir assez de respect pour toi-même et les autres pour être honnête ! C’était un tel homme que je voulais pour gendre ! »

Petit cahier d’exercices d’estime de soi de Rosette Poletti (éditions Jouvence)

Un moine tibétain marche sur une route glacée de montagne et entend un faible pepiement.
Il regarde autour de lui et voit aux pieds d'une haie,
un tout petit moineau a moitie mort de froid.
Il le prend et le réchauffe dans ses mains.
Que faire, s'interroge-t-il ?
Si je le garde avec moi,
il va salir ma robe et au couvent le chat le mangera.
Si je le laisse ici, il va mourir de froid.

Soudain une idée lui vient. Pour le protéger du gel,
il place l'oisillon dans une bouse fumante de vache sacrée,
et poursuit son chemin, l'âme en paix.
L'oisillon se réchauffe et commence a chanter a plein gosier sa joie d'etre encore vivant.
Un renard qui passe par la, entend la bouse de vache chanter.
Intrigue il s'approche, découvre notre moineau et le croque.

Trois moralités a cette histoire.
1) Celui qui te met dans la l'embarras ne te veut pas forcement du mal.
2) Celui qui t'en sort ne te veut pas forcement du bien.
3) Quand tu es dans l'embarras ferme ta bouche !

Fable tibétaine

Il y a très longtemps, six chevaux qui vivaient dans une région montagneuse de la Chine du Centre décidèrent un jour de quitter leur habitat pour en trouver un meilleur. Après avoir parcouru une vaste étendue de forêt sans avoir aperçu de sentier, les six étaient en grande discussion et n'arrivaient pas à décider de la route à emprunter. Soudain, ils entendirent : « Bonjour! Comment ça va? », murmuré par une tortue boiteuse qui avançait petit à petit sur un sentier sinueux.

« Où vas-tu? », lui demanda un des chevaux.

« On m'a dit que, dans le Sud, il existe un paradis pour les animaux. Je suis en route vers cet endroit », lui répondit la tortue.

« Sais-tu où il se trouve exactement? », répliquèrent les autres, tous ensemble.

« Pas exactement, rétorqua-t-elle. Probablement à 1 000 ou 2 000 li [1 li = 500 m] d'ici. »

« À voyager à un rythme si lent, crois-tu pouvoir atteindre cet endroit? », questionna l'un des chevaux.

« Bien sûr! Mais pour cela, il faut que je continue d'avancer », s'exclama la tortue.

Après cette conversation, la tortue poursuivit sa longue marche, pendant que les six s'engagèrent dans une discussion animée pour trouver un raccourci menant au paradis. Le cheval rouge suggéra d'aller vers le sud, le gris voulait aller vers l'ouest, alors que selon le noir, l'est semblait plus prometteur. Pour ce qui est des trois autres, ils discutaient de la meilleure action à prendre. La discussion se poursuivit longtemps dans la forêt où les chevaux avaient rencontré la tortue boiteuse. Pendant ce temps, la tortue continuait allègrement sa route vers le sud.

 

Finalement, trois ans plus tard, la tortue trouva le paradis légendaire et s'y installa. Dans ce paradis, elle ne vit toutefois aucun des six chevaux qu'elle avait rencontrés dans les bois. Chaque matin, elle montait au sommet d'une colline et regardait vers le nord en espérant voir venir les chevaux. Ils n'apparurent jamais.

Aujourd'hui, Bo bie qian li sert à encourager les gens qui vivent une situation difficile à poursuivre résolument leur objectif et fait l'éloge de la persévérance et des efforts inlassables pour atteindre un but.

Proverbe chinois

À l’entrée d’un village, un vieux sage se reposait près d’un puits.


Arrive un pèlerin qui veut s’installer dans le village. Il demande au vieux :
“Dis-moi comment sont les gens de ton village. J’aimerais bien m’installer ici. Où j’étais avant, les gens sont méchants et médisants. C’est pourquoi je suis parti."
– "Les gens sont les mêmes ici.”, répond le sage. Et le pèlerin passe sa route.


Arrive un second pèlerin.
“Comment sont les gens de ton village ?" demande-t-il à son tour au vieux sage.
– "Comment étaient les gens que tu as côtoyés jusque-là ? "
– "Très gentils et serviables. J’ai eu de la peine à les quitter."
– "Les gens sont les mêmes ici.”


Un jeune du village a assisté aux conversations.
“Je ne comprends pas, dit-il au sage, à l’un tu dis que les gens sont méchants, à l’autre qu’ils sont bons.”
Et le sage répond :
“Les gens sont comme nous les voyons !”

Dans un petit village de Chine, non loin de la ville de Nankin, vivait un jeune homme prénommé Tao. Il était très pauvre, mais cela ne l'empêchait pas d'être généreux et toujours prêt à aider son prochain. Personne ne s'adressait à lui en vain.
Un jour, alors que le soleil brillait déjà très haut dans le ciel, Tao, qui dormait sur une paillasse à l'ombre d'un arbre, fut réveillé assez brutalement par un inconnu. Surpris, il ouvrit les yeux et vit devant lui un homme
tout de gris vêtu.
— Réveille-toi, Tao, lui dit l'inconnu. La reine t'attend !
— La reine ? s'étonna Tao. Mais je ne connais pas de reine !

— Elle, en revanche, te connaît, poursuivit l'homme en gris, et elle m'a envoyé te chercher de toute urgence. Viens, suis-moi !
— Mais qui êtes-vous donc ? demanda Tao au messager, je ne vous ai jamais vu !
L'inconnu haussa les épaules :
— À quoi cela t'avancerait-il de m'avoir déjà vu et de savoir qui je suis ? La reine a besoin de ton aide. Tu es bien Tao, celui qui ne refuse jamais son aide à personne ?
Tao n'osa plus poser de question. Il replia rapidement sa paillasse, et suivit l'inconnu.
Ils marchèrent un long moment. À l'instant où Tao crut atteindre les dernières maisons du village, il découvrit devant lui une ville immense dont toutes les habitations, massées les unes contre les autres, présentaient une forme assez étrange, qui lui sembla vaguement familière.
L'inconnu pénétra dans l'une d'elles, plus vaste et somptueuse que les autres. Tao le suivit. Ils arrivèrent dans une salle immense, où une très belle femme était assise sur un trône majestueux. Elle portait dans les cheveux un diadème, qui scintillait de mille feux.
— Merci d'être venu, murmura-t-elle. Mon royaume court un grand danger et tu es le seul à pouvoir le sauver.
Tao se courba dans un profond salut.
— Ce sera un honneur pour moi, Votre Majesté, balbutia-t-il.
— Je vais te présenter à ma fille, poursuivit la reine d'une voix douce. Je considère tous mes sujets comme mes propres enfants, mais je tiens à ma fille bien plus qu'à moi-même.
Tao crut entendre des milliers de clochettes d'or, et une jeune fille, également très belle, entra dans la pièce. Son visage était pâle comme le lys, et ses cheveux de jais coulaient en cascade le long de son dos. L'air infiniment triste, elle alla s'asseoir à côté de la reine, 
sur une chaise en or.
À peine se fut-elle installée qu'une dame de la cour entra, tout essoufflée, en hurlant :
— Le monstre, le monstre !
La reine se leva.
— Voilà le malheur dont je viens de te parler. Je t'en supplie, Tao, aide ma fille. Elle a pour mission de reconstruire une capitale, mais sans toi, jamais elle n'y parviendra.
Tao, sans hésiter une seconde, prit la jeune fille par la main et, ensemble, ils quittèrent le palais discrètement. Pendant des heures, ils coururent sans prendre le temps de retrouver leur souffle. Ils empruntèrent mille et une petites rues tortueuses, et parvinrent finalement au village de Tao. Là, ils purent souffler un peu.

— Comme c'est calme, ici, soupira Fleur-de-Lotus, car c'est ainsi que la jeune princesse s'appelait.
— Nous sommes loin de tout danger, à présent, dit Tao.
— Où allons-nous bâtir la nouvelle capitale ? demanda la princesse.
— Une capitale ? demanda Tao, qui n'avait pas très bien compris lorsque la reine lui avait parlé dans son palais. Mais je ne pourrai jamais construire une capitale. C'est impossible ! Je ne suis qu'un pauvre paysan.
Je n'ai ni pouvoir ni argent.
La princesse le regarda, et de grosses larmes roulèrent sur ses joues.

— Mais tu es pourtant bien Tao, celui qui est toujours prêt à aider son prochain, gémit-elle. Toi seul es capable de le faire...

— Non, je... s'apprêtait-il à dire lorsqu'il s'éveilla.
Il avait dû dormir longtemps, car le soleil se trouvait maintenant fort bas sur l'horizon.
Bien qu'éveillé, Tao entendait encore la voix suppliante de Fleur-de-Lotus, qui semblait s'éloigner.
En vérité, il s'agissait d'un essaim d'abeilles.
Elles semblaient perdues et tournaient dans tous les sens autour des fleurs du jardin.
— Pauvres bêtes, pensa Tao, elles n'ont pas de ruche ! Je vais leur en faire fabriquer une.
Et il se rendit immédiatement chez un charpentier.
— Je me demande d'où peuvent bien venir toutes ces abeilles ? pensa-t-il, lorsqu'il vit que les insectes acceptaient avec empressement leur nouveau refuge.
Il partit se promener dans le village. Arrivé à hauteur de la dernière maison, il découvrit dans un jardin une ruche abandonnée.

— J'ai trouvé des abeilles chez moi, dit-il à l'homme qui vivait là. Ne sont-elles pas à vous ?
— C'est possible, répondit l'homme. Elles ont dû fuir, ajouta-t-il en ôtant le couvercle de la ruche. Comme il se penchait, il y découvrit un serpent.
— Oh, le monstre de mon rêve !, se dit Tao.
De retour chez lui, il installa dans son jardin toute une rangée de belles ruches semblables. De tous les côtés, des abeilles arrivèrent. Elles se mirent à butiner ses fleurs et lui offrirent tellement de miel en échange de sa protection que Tao, le généreux, devint bientôt riche.


conte de Chine

Il y avait autrefois, au pays de Tango, une bourgade du nom de Mizunoé. Dans cette bourgade vivait un pêcheur, qui s’appelait Ourashima Taro. C’était un homme vertueux, au cœur sensible et bon qui, de sa vie, n’avait jamais fait ni souhaité de mal à personne.
Taro revenait un soir de la pêche. La prise ayant été abondante, il rentrait satisfait et joyeux. Sur le rivage, il aperçoit une bande de petits garçons, qui semblaient prendre un malin plaisir à tourmenter une petite tortue, trouvée sur le sable. Taro n’aimait pas qu’on fît souffrir les bêtes. Il eut pitié de la tortue.
S’approchant des enfants, et s’efforçant de donner à sa voix un ton impérieux :
– Quel mal vous a donc fait, dit-il, cette innocente créature, pour la tourmenter de la sorte ? Ignorez-vous que les dieux punissent les enfants qui maltraitent les animaux ?
Ourashima s’approcha des enfants.
– Mêlez-vous donc de ce qui vous regarde, répond insolemment le plus âgé de la troupe. Cette tortue n’appartient à personne. Nous sommes libres de la tuer si cela nous fait plaisir. Vous n’avez rien à y voir.
Le pêcheur comprend qu’aucun raisonnement n’aura de prise sur ces cœurs sans pitié.

Il change de tactique et, d’un ton plus radouci :
– Allons, ne vous fâchez pas ainsi, mes enfants ! je n’avais pas l’intention de vous gronder. Je voulais vous proposer un marché. Voulez-vous me vendre cette tortue ? Je vous en donne vingt sous. Cela vous va-t-il ? 
Vingt sous ! C’était une fortune pour ces marmots. Ils acceptent sans hésiter ; Taro leur donne donc deux petites pièces blanches ; aussitôt ils courent au village acheter des gâteaux. Resté seul avec la tortue, qu’il a conscience d’avoir arrachée à une mort certaine, le brave pêcheur la soulève dans les mains, et lui
dit, en la caressant :
– Pauvre petit animal ! Le proverbe te donne dix mille ans d’existence, tandis qu’il n’en accorde que mille à la cigogne. Que serais-tu devenu sans moi ? Je crois bien que tes dix mille ans auraient été considérablement écourtés ! Car ils allaient te tuer, ces vauriens !… Allons, je vais te rendre la liberté. Mais à l’avenir, sois prudente, et surtout ne retombe jamais plus dans les mains des enfants.
Cela dit, il dépose la tortue sur le sable, et la laisse aller. Puis, jouissant de la pleine satisfaction que procure toujours un bon acte accompli, il retourne en sifflant à sa demeure. Ce soir-là, la soupe lui parut meilleure, et son sommeil fut plus léger…
Le lendemain matin, Taro, s’étant levé de bonne heure, part pour la pêche, selon son habitude. Le voilà qui gagne le large, monté sur sa petite barque. Il va jeter son filet. Tout à coup, il perçoit dans l’eau un clapotement étrange.
– Monsieur Ourashima ! fait une voix derrière lui.
Le pêcheur se demande qui peut bien, à cette heure matinale, l’appeler par son nom. Il regarde autour de lui, mais il ne voit personne. Croyant s’être trompé, il se dispose de nouveau à commencer sa pêche.
– Monsieur Ourashima ! répète la même voix.
Taro se retourne une seconde fois. Quelle n’est pas sa surprise, d’apercevoir, tout auprès de la barque, la petite tortue, la tortue dont, la veille, il a sauvé la vie !
– Oh ! C’est donc toi qui m’as appelé ?
– Oui, c’est moi, Monsieur Ourashima. Je suis venue vous dire bonjour, et vous remercier du service que vous m’avez rendu hier soir.
– Voilà qui est bien aimable de ta part. Voyons ! que pourrais-je t’offrir ? Si tu fumais, je te passerais volontiers ma pipe. Mais tu ne dois pas fumer, toi !
– Non, je ne fume pas, Monsieur Ourashima. Mais, si ce n’est pas trop d’indiscrétion, j’accepterais avec plaisir une tasse de saké.
– Du saké ? Tu bois donc du saké ! C’est bien heureux ! J’en ai justement ici une petite bouteille. Il n’est pas de première qualité, mais il n’est pas mauvais tout de même. Voici !
Et le pêcheur, emplissant une tasse, la passe à la tortue, qui l’avale d’un trait.
Puis, la conversation, un instant interrompue, continue de la sorte :
– En veux-tu une seconde tasse ?
– Non, merci, Monsieur Ourashima. Une seule me suffit… À propos, avez-vous déjà visité le palais d’Otohimé, la déesse de l’Océan ?
– Non, pas encore.
– J’ai justement l’intention de vous y conduire aujourd’hui.
– Comment ? Tu veux m’y conduire ? Mais il doit être bien loin, ce palais ! D’abord, je ne sais pas nager comme toi. Comment veux-tu que je te suive ?
– Oh ! il n’est pas nécessaire de savoir bien nager, Monsieur Ourashima. Vous n’aurez même pas à nager du tout. Vous allez monter sur mon dos ; je vous porterai moi-même.
– Monter sur ton dos !… Mais, tu n’y penses pas, ma petite tortue. Quand bien même tu serais dix fois plus grosse, il serait impossible à un homme comme moi de monter sur ton dos, et de s’y tenir sans danger !
– Ah ! Monsieur Ourashima, vous trouvez que je suis trop petite ? C’est bien… Attendez une seconde. Vous allez voir.
Et voilà que la petite tortue se met à grossir… à grossir… Elle devient aussi grosse que la barque du pêcheur. Celui-ci, frappé de ce prodige, n’hésite plus. Il monte sur le dos de l’animal, s’y installe à son aise. Et la tortue l’emporte vers le palais d’Otohimé, la déesse de l’Océan.
Au bout de quelques heures, Taro aperçoit dans le lointain un immense monument :
– Quel est ce monument ? demande-t-il à la tortue.
– C’est le portail du palais, répond-elle.
Et, à mesure qu’ils approchent, le portail semble grandir, et se teinter de couleurs brillantes.
Ils arrivent enfin. La tortue dépose son cavalier sur du sable, dont chaque grain est une perle. Le pêcheur peut voir alors que le portail est en or massif, incrusté de pierreries. Deux énormes dragons en gardent l’entrée. Ils ont un corps de cheval, une tête et des griffes de lion, des ailes d’aigle et une queue de serpent.
Leur aspect est terrible ; néanmoins, c’est d’un regard plein de douceur qu’ils fixent le nouvel arrivé.
La tortue seule avait pénétré sous le porche. Elle en sortit bientôt, accompagnée d’une multitude de poissons. Il y en avait de toutes les grandeurs et de toutes les formes. Chacune des espèces que renferme l’Océan était représentée. Ils portaient tous la livrée de la déesse, couleur d’azur et galons d’argent. Ils s’avancèrent au-devant du pêcheur et le saluèrent jusqu’à terre, avec toutes les marques de la sympathie et du respect.
Le brave Taro ne comprenait rien à toutes ces choses ; mais, sachant très bien qu’on ne lui voulait aucun mal, il se laissa faire. On le dépouilla de son costume de pêche, et on le revêtit d’une magnifique robe de soie. On lui attacha aux pieds des pantoufles de velours ; puis un page charmant, le prenant par la main, l’introduisit dans le palais.
S’appuyant sur une rampe d’ivoire, il monte les sept degrés d’un escalier de marbre, et arrive devant la porte en bois d’acajou, sur laquelle scintillent des émeraudes. Elle s’ouvre d’elle-même et Taro pénètre dans l’appartement de la déesse. C’est une salle immense, dont le plafond en corail est soutenu par vingt colonnes de cristal. De nombreuses lampes en vermeil y donnent une douce et brillante lumière. Les parois sont en marbre parsemé de rubis et de pierreries diverses.
Au milieu de toutes ces merveilles, assise sur un trône de diamant, ornée de ses plus riches parures, et environnée de toute sa cour, se tient Otohimé, la déesse de l’Océan. Elle est extraordinairement belle, plus belle que l’aurore à son lever.
Lorsque Taro la vit, elle le contemplait avec son plus gracieux sourire. Il voulut se prosterner. La déesse ne lui en laissa pas le temps. Se levant de son trône, elle s’avança vers lui, majestueuse et aimable, et lui prenant affectueusement les mains :
– Soyez le bienvenu ! lui dit-elle. J’ai appris que, hier soir, vous aviez sauvé la vie à l’un des sujets les plus vénérés de mon empire. J’ai voulu vous en exprimer de vive voix ma sincère reconnaissance, et voilà la raison pour laquelle je vous ai fait venir ici.
Taro ne savait que répondre. Il se tut. Alors, sur un signe de la déesse, on le fit asseoir sur un coussin en soie, cousue de fil d’or. On lui apporta une petite table en ivoire, sur laquelle étaient posés, dans des plateaux de vermeil, toutes sortes de mets appétissants. Taro fit un repas, comme il n’en avait jamais fait depuis qu’il était au monde. Quand il eut fini de manger, la déesse le conduisit voir les diverses parties de son palais.
Taro fit un repas comme il n’en avait jamais fait depuis qu’il était au monde.
Le pêcheur marchait de surprise en surprise, d’éblouissement en éblouissement. Mais ce qui le frappa le plus, et mit le comble à son admiration, ce fut le jardin. Il y avait là quatre parterres immenses ; chacun représentait l’une des quatre saisons de l’année.
À l’est, c’était le parterre du printemps : d’innombrables pruniers et cerisiers en fleurs s’élevaient au-dessus d’un verdoyant gazon ; de nombreux rossignols y modulaient leurs délicieuses romances ; des alouettes y faisaient leur nid.
Au sud s’étendait le parterre de l’été : là, des pommiers et des poiriers, dont les branches pliaient sous le poids de leurs fruits. Des cigales y remplissaient l’air de leurs cris assourdissants et monotones. Il y régnait une grande chaleur, tempérée par un doux zéphyr.
L’automne était représenté par le parterre de l’ouest. Le sol y était couvert de feuilles jaunissantes et de bouquets de chrysanthèmes.

Enfin, le parterre de l’hiver était au nord : c’était un immense tapis de neige, entourant un étang de glace…
Taro passa sept jours dans ce palais enchanteur. Fasciné par toutes les merveilles qui s’offraient à ses regards, charmé de la bonté que lui témoignait la déesse, et du bien-être qu’il éprouvait auprès d’elle, il avait oublié son village ; il ne songeait plus à son vieux père, à sa femme, à ses enfants, à sa barque, à ses
filets.
Un jour pourtant il s’en souvint, et la tristesse le prit.
– Que doit penser mon père, se dit-il, d’une si longue absence ? Combien ma femme et mes enfants doivent être inquiets, et attendre mon retour ! Ils me croient peut-être mort, englouti au fond de l’Océan ! Et ma barque, qu’est-elle devenue ? Et mes filets ?…
Alors, Taro résolut de partir. Il en parla à la déesse. Celle-ci essaya bien de le retenir encore, mais toutes ses instances demeurèrent infructueuses. Ce voyant, la belle Otohimé le prit à part dans sa chambre secrète et, tirant du fond d’un coffre une petite boîte en laque, elle la lui donna, en disant :
– Puisqu’à tout prix vous voulez partir, Monsieur Ourashima, je ne vous retiens plus. Tenez ! Emportez cette boîte, comme souvenir de moi et de votre séjour ici. Mais promettez-moi que, quoiqu’il arrive, vous ne l’ouvrirez jamais. Monsieur, retenez bien mes paroles : le jour où, cédant à une curiosité coupable, vous
ouvrirez cette boîte, vous êtes un homme mort.
Taro accepta le présent avec beaucoup de reconnaissance. Il promit que jamais il n’ouvrirait la boîte, quoiqu’il puisse arriver. Puis la déesse l’embrassa sur le front, elle l’accompagna jusqu’au seuil de sa porte, et ils se séparèrent. Le pêcheur remonta sur le dos de la tortue, et celle-ci le ramena au rivage…
Taro est de retour. Mais, comme tout a changé pendant son absence ! Les arbres qui se trouvent à l’entrée du bourg ne sont plus ceux qu’il était habitué à y voir.
Le village s’est agrandi ; il y a des maisons nouvelles, des maisons comme il n’en a jamais vu de sa vie. Quel n’est pas son étonnement de ne plus retrouver aucune de ses connaissances ! Tous les visages qu’il rencontre lui sont entièrement inconnus !
Ne comprenant plus rien à cette soudaine métamorphose des hommes et des choses, Taro ne sait que penser ni que croire. Il lui tarde de retrouver son père, sa femme et ses enfants, pour apprendre de leur bouche le pourquoi de ce qui l’étonne. Il se dirige vers sa demeure. Là, sa surprise redouble. C’est bien cette maison qu’il a quittée, il y a sept jours. Mais elle tombe en ruines. Il s’approche et jette un coup d’œil à l’intérieur. Il n’y voit aucun des objets qui lui étaient familiers. Il n’y retrouve ni son père, ni sa femme, ni ses enfants.
Sur la natte, un vieillard est assis, les bras appuyés sur le bord du brasero, mais ce vieillard n’est pas son père ! Taro va défaillir sous le poids d’une émotion trop forte. Il se contient pourtant encore.
– Bon vieillard, demande-t-il d’une voix étouffée, il y a sept jours que j’ai quitté ce village. Tout y a changé depuis. Cette maison est à moi, et je vous y trouve, vous, un inconnu. Où sont donc mon vieux père, ma femme et mes enfants, que j’ai laissés ici ?
– Jeune homme, répond le vieillard, qui croit avoir à faire à un fou, je ne sais ce que vous voulez dire. Qui êtes-vous donc ? Quel est votre nom ?
– Je suis Ourashima Taro, le pêcheur.
– Ourashima Taro ! s’écrie le vieillard au comble de la surprise, mais alors, vous êtes… un fantôme… un revenant… une ombre !… J’ai souvent, en effet, entendu parler d’un certain Ourashima Taro. Mais, voilà bien longtemps qu’il n’est plus de ce monde. Il y a sept cents ans qu’Ourashima Taro est mort !
– Sept cents ans ! s’écrie le pêcheur.
Aussitôt il pâlit et chancelle. Ces dernières paroles du vieillard sont pour lui comme un trait de lumière. Il a compris ! Il a compris qu’il a passé sept cents ans dans le palais de la déesse Otohimé, et que ces sept cents ans lui ont semblé sept jours…
Une profonde tristesse envahit son âme. Il quitte ce village inhospitalier, qui n’est plus le sien, et où il n’a personne. Tout pensif, il se rend à la grève. Instinctivement, ses regards cherchent à apercevoir la tortue : car il voudrait bien maintenant retourner au palais… Mais la tortue a disparu, probablement pour toujours…
Taro s’assied sur le sable, et verse des larmes brûlantes. Tout à coup, ses yeux se portent sur la boîte, la boîte mystérieuse qu’Otohimé lui a donnée au départ, et à laquelle, dans son trouble, il n’avait plus songé.
– Que contient cette boîte ?… La déesse m’a dit, en me la remettant : le jour où, par une curiosité coupable, vous ouvrirez cette boîte, vous êtes un homme mort… Une déesse ne ment point… et pourtant, qui sait ?… Peut-être est-ce pour m’éprouver qu’elle m’a dit cela !… Peut-être cette boîte contient-elle mon bonheur !… Et puis, après tout, que m’importe la mort, à cette heure ?… Ne suis-je pas seul au monde, sans parents, sans amis, sans connaissances, sans fortune ?… Oui, mieux vaut cent fois la mort, qu’une existence aussi
malheureuse !…
Ainsi pense Taro. Alors, d’un mouvement nerveux, il entr’ouvre la boîte. Il en sort un nuage épais, qui l’enveloppe des pieds à la tête. Soudain, ses cheveux deviennent blancs comme la neige, son front se ride, ses membres se dessèchent et
il tombe mort sur la plage.
Le lendemain, des pêcheurs découvrirent sur la grève le corps d’un homme qui avait vécu sept cents ans…

Conte japonais

Mademoiselle Aki était une jeune fille de dix-sept ans. Ses parents l’avaient gâtée. Comme toutes les jeunes filles qui sont gâtées par leurs parents, elle était vaniteuse, capricieuse et méchante. Elle avait un très vilain défaut. Aki était voleuse. Elle volait partout, elle volait toujours, elle volait tant qu’elle pouvait. Et, chose assez curieuse, elle ne se faisait jamais prendre. La coquine était d’une habileté rare. Du reste, vous allez en juger.
Un beau matin, elle prend un panier, le remplit de poissons, et quitte la maison, sans rien dire. Ses parents lui donnant malheureusement toute liberté de suivre ses caprices, et ne s’informant jamais de ses allées et venues, la laissent sortir, sans même lui demander où elle va avec ce panier.
Aki longe un moment la rue, tourne à droite, traverse une longue place, enfile une vaste avenue et arrive devant une maison d’apparence bourgeoise. C’est là que demeure le très honorable et très distingué ministre Sanjo. La jeune fille entre par la porte cochère, traverse la cour, comme une habituée de la maison, tourne sur la gauche et se dirige vers la cuisine. Mme Osandon, la digne et replète cuisinière de M. le ministre, est en train de préparer le déjeuner de son maître.
Le ministre faisait sa toilette.
– Bonjour, Madame Osandon, lui dit Aki en la saluant, je suis la fille de M. Takeyoshi, le marchand de soieries qui habite la rue de Hongo. Hier soir, votre maître a rendu à mon père un service important. Et mon père m’envoie le remercier en son nom, en attendant qu’il se présente lui-même. Il m’a chargé de remettre à M. le ministre ce panier de poissons. Quoique ce soit peu de chose, veuillez prier votre maître de l’accepter comme un faible témoignage de notre reconnaissance.
La brave cuisinière n’a aucun motif de mettre en doute la sincérité de cette jeune fille. Elle accepte le panier, va trouver le ministre qui faisait sa toilette, et lui répète les paroles d’Aki.
Le ministre, après avoir écouté, réfléchit un instant, puis il répond :
– Je ne connais personne du nom de Takeyoshi ; j’ignore s’il y a un marchand de soieries de ce nom dans la rue de Hongo ; je n’ai pas souvenance d’avoir rendu hier soir un service quelconque à qui que ce soit. La chose m’eût été difficile, vu que je ne suis pas sorti hier de toute la journée. Il y a là une erreur ; cette jeune
fille se trompe d’adresse ; reporte-lui son panier.
Pendant que se tenait ce petit bout de conversation dans la chambre du ministre Mlle Aki, restée seule à la cuisine, avait jeté un coup d’œil sur les étagères ; elle avait aperçu une petite tasse de valeur, et très délicatement, l’avait glissée dans les profondeurs de sa manche. Mais, cela étant en dehors du programme, et
n’étant arrivé que par hasard, ne nous y arrêtons pas, et continuons.
Mme Osandon redescend donc à la cuisine, et rend le panier à la jeune fille, en lui rapportant les paroles de son maître.
– C’est curieux ! répond Aki, en reprenant le panier… C’est pourtant bien ici !… Aurais-je mal entendu ?… Je suis si sotte !… Je vais retourner à la maison, et demander de nouveau à mon père. Voudriez-vous être assez aimable pour me permettre de déposer mon panier ici ? Je reviendrai dans tous les cas le prendre.
– Il n’y a pas d’inconvénient, Mademoiselle.
Aki dépose donc son panier dans un coin de la cuisine ; puis, saluant profondément Mme Osandon, elle reprend le chemin par lequel elle est venue.
Vous vous demandez peut-être pourquoi la rusée jeune fille a laissé là son panier ? Pourquoi ? Je vous le donne en mille. Inutile de vous creuser la tête. 
Vous ne devinerez pas. Mais vous allez comprendre tout à l’heure, et vous ne pourrez vous empêcher de penser : quelle petite coquine !
D’abord, elle ne retourne pas chez elle, tout naturellement. La voilà qui remonte l’avenue, enfile la rue de Sakanacho et s’arrête devant la boutique d’un horloger.
– Pardon ! dit-elle en entrant. Je viens de la part de Mme Sanjo, la femme du ministre. Est-ce que vous avez de belles montres en or ?
– Mais parfaitement, Mademoiselle. En désirez-vous de grandes ou de petites ?
– Voici. Ma maîtresse voudrait en voir quelques-unes de dimensions différentes, pour pouvoir faire son choix. Elle est très fatiguée aujourd’hui et ne peut quitter la chambre. Il lui faut cependant une montre pour ce soir. Ne voudriez-vous pas en confier quelques-unes à votre apprenti, et le prier de m’accompagner chez ma
maîtresse ?
– Je n’ai pas l’habitude de confier des montres à mon apprenti. Mais, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je puis vous accompagner moi-même.
– Ce sera encore mieux !
Aki reprit le panier qu’elle avait déposé à la cuisine.
L’horloger, lui non plus, n’a aucune raison de soupçonner la jeune fille. Il choisit douze belles montres, les introduit dans une boîte, enveloppe la boîte d’un beau foulard de soie, met son manteau et part avec Aki.
Ils arrivent chez M. le ministre, entrent par la porte cochère, et pénètrent dans la cour. Arrivés là, la petite rusée dit à son compagnon :
– Comme Madame est couchée, elle serait peut-être contrariée de vous recevoir chez elle. Passez-moi les montres ; je vais les lui porter. Et attendez-moi ici, ce ne sera pas long.
L’horloger sans méfiance passe la boîte à Aki, et les montres vont rejoindre la tasse de tout à l’heure dans les profondeurs de sa manche…
La jeune fille se rend à la cuisine, où elle retrouve Mme Osandon :
– Excusez-moi, dit-elle en entrant, je me suis effectivement trompée. Ce n’est pas chez M. le ministre Sanjo que mon père m’envoyait, mais bien chez un certain M. Sonjo. Pardonnez-moi le dérangement que je vous ai occasionné tantôt.
– Il n’y a pas de quoi, Mademoiselle, répond la cuisinière ; tout le monde peut se tromper.
Aki reprend donc le panier aux poissons qu’elle avait déposé à la cuisine, vous commencez à comprendre dans quel but. Elle salue la bonne, et revient vers la cour, où attendait l’horloger.
– Madame est en train d’examiner les montres, dit-elle ; dès qu’elle aura fait son choix, elle doit vous faire appeler. Patientez encore quelques secondes, et veuillez m’excuser ; il faut que j’aille porter ces poissons à une amie de Madame.
Là-dessus elle le quitte et sort de la cour.
L’horloger, qui la voit sortir, un panier de poissons au bras, alors qu’elle est entrée les mains vides, n’a pas un instant la pensée de douter qu’elle soit une domestique de Mme Sanjo. Il ne soupçonne pas, le brave homme que, dans la manche de cette fille qui vient de sortir, reposent insouciantes les douze montres en or, qu’il a apportées de chez lui !
Il attend un bon quart d’heure. Mais personne ne vient. On a l’air, dans la maison, de ne pas même songer à lui. Impatienté, il se rend à son tour à la cuisine.
L’horloger la vit sortir, un panier au bras.
– Eh bien ! dit-il à la cuisinière, est-ce que Madame a terminé son choix ?
– Quel choix ?
– Mais… le choix des montres.
– Quelles montres ?
– Les montres que je viens d’apporter et que j’ai confiées à la jeune fille, pour les faire voir à Madame.
– Quelle jeune fille ?
– Celle qui vient de sortir avec un panier.
– Celle qui vient de sortir avec un panier ?
– Oui.
– Mais, mon brave homme, cette jeune fille n’est pas plus employée à la maison, que moi je ne suis employée au palais de l’Empereur !
Et la cuisinière raconte alors à l’horloger pétrifié les antécédents de l’histoire, et pourquoi et comment cette jeune fille est sortie de la maison avec un panier.
L’horloger raconte à son tour l’histoire des montres, et pourquoi et comment il se fait qu’il est là.
– Alors, mon pauvre homme, conclut la cuisinière, vous pouvez leur dire adieu à vos montres !
Le malheureux horloger, comprenant un peu tard qu’il a été filouté, s’arrache les cheveux de désespoir, jure par tous ses ancêtres que jamais plus de sa vie, il ne confiera de montres à personne.
Il s’en va de ce pas faire sa déclaration à la police. La police s’est mise à la recherche de la petite voleuse.
La retrouvera-t-elle ? « Chi lo sà !

Conte japonais

Il était une fois un vieux et une vieille. Le vieux se nommait Gombéiji, et la vieille Tora. C’étaient de bien braves gens. Ils vivaient dans une intimité parfaite, et savaient se contenter de peu. Toute leur fortune consistait en une misérable cabane, couverte de chaume, bâtie sur le flanc de la montagne, et en un petit
champ de melons et d’aubergines, qu’ils cultivaient avec amour.
Or, à quelques pas de leur demeure, vivait aussi, dans un terrier profond, un blaireau d’un certain âge. Cet animal malfaisant passait toutes ses nuits à ravager tant qu’il pouvait le champ de ses voisins. Un jour Gombéiji, à bout de patience, finit par tendre un piège, dans lequel le blaireau se laissa prendre. Tout heureux
d’avoir enfin capturé la méchante bête, le bon vieux la porte en sa cabane, lui ficelle solidement les pattes, et la suspend à un clou du plafond. Puis il dit à sa femme :
– Fais bien en sorte qu’il ne s’échappe point. Je vais au champ réparer les dégâts qu’il y a causés la nuit dernière. À mon retour, nous le mettrons à la marmite. Ce doit être très bon, la viande de blaireau !
Là-dessus, il prend ses instruments, et va au travail, confiant l’animal à la garde de Tora.
La position du blaireau n’était pas intéressante, et la perspective d’être mangé le soir ne lui souriait pas du tout. Il réfléchit longtemps au moyen de sortir d’une situation aussi peu agréable. Les blaireaux ont bien des ruses dans leur sac ! Il choisit celle qui, vu les circonstances présentes, lui sembla la meilleure.
La bonne vieille est en train de piler du riz :
– Pauvre femme ! lui dit-il d’une voix compatissante, je souffre de te voir travailler de la sorte, à ton âge. Cela doit te fatiguer beaucoup. Veux-tu me permettre de t’aider ? Passe-moi le pilon. Je ferai la besogne à ta place ; pendant ce temps, tu te reposeras.
– Que me chantes-tu là ? répond la vieille dame en le regardant. Ah ! oui, je vois bien ce que tu désires. Tu veux que je te détache. Puis, tu fileras, sans me dire au revoir. Pas de ça, mon ami ! Que dirait mon mari, en rentrant, s’il ne te trouvait plus là ? Non, non, reste où tu es, et laisse-moi tranquille.
Le blaireau ne se décourage pas de ce premier insuccès :
– Je comprends fort bien tes craintes, reprend-il. Tu crois que je veux m’échapper… On voit que tu ne me connais guère… Nous autres blaireaux, nous n’avons qu’une parole… Je suis pris ; c’est malheureux pour moi ; mais ce qui est fait, est fait… Je n’ai pas le moins du monde l’intention de me sauver… Je voulais seulement te rendre un service… Il te serait si facile de me lier de nouveau, et de me remettre à la même place, avant le retour de ton mari !… Il n’en aurait rien su du tout… Mais, puisque tu n’y consens pas, c’est bon. N’en
parlons plus… Pile ton riz… Après tout, peu m’importe !
Tora n’était pas méchante, et ne soupçonnait point le mal chez les autres. Elle se dit qu’en définitive, cet animal pouvait être sincère, et que ce serait bien heureux, s’il consentait à piler le riz à sa place. Après quelques hésitations :
– Me promets-tu de ne pas te sauver, si je te détache ? demande-t-elle.
– Foi de blaireau, je te le jure ! répond le perfide animal.
La trop confiante femme détache le blaireau et lui passe le pilon. La bête le saisit et, avant même que la pauvre vieille ait eu le temps de pousser un cri, il lui en assène sur le crâne un coup d’une telle violence, qu’elle tombe raide sur le plancher de la cuisine.
Le blaireau ne perd pas de temps. Il prend un coutelas, découpe en morceaux de sa victime, empile ces morceaux dans la marmite qui lui était réservée à lui-même, et se met à la faire bouillir. Puis, il se métamorphose. Car chacun sait que le blaireau possède l’intéressante faculté de se métamorphoser quand il lui plaît.
Il prend donc l’apparence de la vieille Tora, se revêt de ses habits, s’assied sur la natte, et tout en attisant le feu, attend le retour du mari.
Gombéiji est bien loin de se douter de ce qui s’est passé pendant son absence. Il quitte son champ à la tombée de la nuit et revient à la cabane, se délectant à l’avance, à la pensée du plantureux repas qui l’attend.
Il trouve la fausse Tora, en train de faire bouillir la marmite :
– Tu l’as donc déjà tué ? lui dit-il en rentrant.
– Oui, répond-elle, j’ai pensé que tu aurais faim à ton retour. Tiens ! vois comme ça sent bon !
Et, en parlant ainsi, elle soulève le couvercle. De la marmite en ébullition, s’échappe une odeur, que le vieillard ne peut s’empêcher de trouver très étrange !
Puis, il dépose ses instruments de travail, se lave les mains, s’assied devant la minuscule table où il prend ses repas, se fait servir, et commence à dévorer avec appétit. Pauvre Gombéiji ! ne va pas si vite, et ne te délecte pas si fort ! Si tu savais ce que tu manges !… À peine a-t-il avalé la dernière bouchée, qu’il entend derrière lui un formidable éclat de rire. Il se retourne. Quelle n’est pas sa stupeur ! Sa vieille n’est plus là ! À sa place, le blaireau, qu’il avait cru manger !
Celui-ci, en effet, venait en un clin d’œil de reprendre sa forme naturelle, et riait à gorge déployée :
– Eh bien, vieillard ! lui dit-il, était-elle bonne ? Car c’est elle que tu viens de manger !… Elle m’a détaché, la sotte ! Alors, je l’ai tuée, puis coupée en morceaux, puis je l’ai fait cuire à ma place, et tu l’as avalée ! Ah ! ah ! ah !…
Et, avant que Gombéiji ait pu revenir de sa surprise, le blaireau fit un bond vers la porte et s’enfuit de toute la vitesse de ses jambes.
Le malheureux vieillard resta longtemps, bien longtemps, sans pouvoir se remettre. De désespoir, il se serait volontiers arraché les cheveux, s’il en avait eu encore.
– Pauvre Tora ! ne cessait-il de répéter en pleurant ! C’est ta bonté qui t’a perdue !… Et moi, qui t’ai mangée !… Comment supporter le poids d’une pareille honte ?… Puis-je survivre à un tel malheur !… Non, il ne me reste plus qu’à mourir, comme meurent les samuraï…
Chacun sait que les samuraï, pour sauver leur honneur, ne croyaient pouvoir mieux faire que de s’ouvrir le ventre. C’est donc à ce dernier parti que le malheureux vieillard se détermina.
Il aperçoit à ses pieds le couteau de cuisine, ce même coutelas, dont le blaireau s’est servi pour couper en morceaux l’infortunée Tora. Il le saisit d’une main tremblante. Puis, tombant à genoux, il prononce la suprême prière, la formule sacrée que prononcent les héros qui se donnent la mort : « Namu Amida butsu ».
Alors, rejetant son habit en arrière, il s’enfonce le couteau dans le ventre, et lentement, de gauche à droite, en promène la lame…
Mais, ô miracle ! voilà qu’au même instant, la cabane s’illumine tout à coup d’une clarté mystérieuse. Une forme blanche et transparente s’approche du vieillard, étendu sans vie sur le sol… L’apparition touche la blessure de sa main diaphane… Du ventre entr’ouvert, pleine de vie et souriante, la vieille Tora s’échappe, et la blessure se referme… Puis, le fantôme disparaît et la lumière s’évanouit !…
Les deux vieillards, revenus à la vie, se regardent… Au comble de la surprise, ils ne savent d’abord que penser et que se dire… Ils comprennent enfin que le ciel est venu à leur secours… Ils tombent à genoux, remercient les dieux, pleurent, se félicitent, s’embrassent…
Le lendemain de ce jour mémorable, les deux époux s’entretenaient ensemble sur les moyens de se venger du blaireau qui leur avait fait tant de mal. Qu’était, en effet, devenu le blaireau ? Il s’était réfugié dans sa tanière et, craignant à juste titre les représailles du vieux, il n’osait plus en sortir.
Les deux époux causaient donc ensemble. Tout à coup, un bruit léger de pas se fit entendre à la porte de la cabane. Une voix très douce demanda la permission d’enter. C’était le lièvre, le joli lièvre blanc qui habite dans la montagne, et qui venait leur faire visite.
Le lièvre n’est pas méchant comme le blaireau ! Aussi les deux époux le reçurent très poliment. Ils le firent asseoir auprès d’eux, et lui offrirent du thé. Alors le vieillard lui raconta comme quoi le blaireau avait assommé sa femme et la lui avait fait manger ; comment lui, de désespoir, s’était ouvert le ventre, qu’une
divinité étant alors apparue avait rendu la vie à la vieille et guéri sa propre blessure. Ensuite il lui parla de leurs projets de vengeance, et lui demanda s’il ne connaîtrait pas un moyen de s’emparer du blaireau.
– Chers amis, répondit le lièvre, après avoir en silence écouté cet étrange récit, ne vous mettez pas en peine. Vous voulez une vengeance ? Vous l’aurez. Et c’est moi-même qui m’en charge. Foi de lièvre, vous n’attendrez pas longtemps !
Là-dessus tous les trois se firent les saluts d’usage ; le lièvre prit congé de ses amis et retourna dans son gîte, pour ruminer son plan. 

Le blaireau, dans son terrier, s’ennuyait à mourir. À quelque temps de là, le lièvre vint le voir :
– Camarade, lui dit-il en entrant, que se passe-t-il donc ? On ne te voit plus dans les champs. Serais-tu par hasard malade ?
Le blaireau ne voulut pas expliquer à son visiteur le vrai motif pour lequel il se tenait caché, et lui répondit qu’en effet, il se sentait un peu malade.
– Mon cher, repartit alors le lièvre, ce n’est pas en restant ainsi enfermé que tu te guériras. Regarde quel temps splendide nous avons aujourd’hui ! Voyons ! ne viens-tu pas faire avec moi un tour de promenade ? Nous irons à la montagne où nous ramasserons du menu bois.
Le blaireau, d’un côté, s’ennuyait à mourir. De l’autre, il n’avait aucun motif de soupçonner le joli lièvre blanc de lui vouloir du mal. Ce fut donc sans hésiter qu’il accepta la proposition. Ils partent bras dessus bras dessous, s’en vont dans la montagne, ramassent de menus branchages, en font des fagots et se les attachent mutuellement sur le dos. Puis, ils se disposent à redescendre. Le lièvre avait apporté un briquet : car le lièvre avait son plan. Profitant d’un moment où son compagnon est distrait, il passe doucement, derrière lui, bat le briquet pour en tirer du feu : « Katchikatchi », fait le briquet.
Le blaireau entend, et sans se retourner :
– Lièvre, demande-t-il, qu’est-ce qui a fait « Katchikatchi » derrière moi ?
– Ce n’est rien, répond l’autre. La montagne où nous sommes s’appelle Katchikatchi ; c’est son nom que tu as cru entendre !
Tout en parlant ainsi, le lièvre a mis le feu au fagot du blaireau. La flamme en crépitant fait « Ka-pika ». Le blaireau demande encore :
– Qu’est-ce qui a fait « Ka-pika » derrière moi ?
– Oh ! ce n’est rien, répond le lièvre. La montagne où nous sommes s’appelle aussi Ka-pika ; c’est son nom que tu as cru entendre !
Le fagot brûlait… La flamme atteignit bientôt les poils du blaireau. À la première sensation de la douleur, celui-ci poussa un cri d’effroi ! Puis, la souffrance devenant de plus en plus cuisante, il se roula sur le sol, avec des contorsions horribles ; enfin, n’en pouvant plus, il se précipita au bas de la montagne, et s’enfuit dans sa tanière, où il passa la nuit dans d’affreuses tortures.
Le lendemain matin, le lièvre vint lui faire une seconde visite :
– Camarade, lui dit-il, avec une tendresse feinte, il t’est survenu hier une aventure fort désagréable ! J’ai eu pitié de toi. Je suis allé trouver un pharmacien de mes amis. Il m’a remis ce remède. Bois-le ce soir, avant de t’endormir, et demain tes souffrances auront complètement disparu.
Et il lui tendit une petite fiole, laquelle contenait un poison très violent, qu’il avait lui-même préparé avec des herbes de la montagne. Le blaireau, qui ne soupçonnait pas son ami d’avoir à son égard de mauvaises intentions, accepta sans méfiance aucune le soi-disant remède. Le lièvre lui souhaita alors bonne
chance, et le saluant profondément, retourna dans son gîte, jouissant en son cœur du succès de sa ruse.
Le blaireau avala le poison. Aussitôt il éprouva dans tout son corps une brûlure épouvantable. Il se tordit comme un ver, au milieu d’atroces souffrances et se mit à pousser des cris déchirants. Le lendemain, à l’aurore, le lièvre vint voir si le blaireau était mort. Celui-ci n’était pas mort encore, car les blaireaux ont la vie
dure. Il était couché et souffrait horriblement.
Le lièvre jugea alors que l’occasion était on ne peut plus favorable pour assouvir sa vengeance :
– Blaireau, lui cria-t-il, tu te souviens sans doute de la vieille Tora, que tu as assommée et fait manger à son mari. Eh bien, apprends que les dieux punissent toujours le crime. C’est moi qu’ils ont choisi comme instrument de leur vengeance. C’est moi qui ai mis le feu à ton fagot de bois au mont Katchikatchi.
Ce remède que je t’ai apporté hier est un violent poison que je t’avais moi-même préparé pour te faire mourir. Meurs donc ! Et que Gombéiji et Tora soient vengés !
Il dit, et saisissant une grosse pierre, il en assomma le blaireau, qui ne tarda pas à rendre le dernier soupir…
Le lièvre, après avoir accompli sa mission, se rendit de ce pas chez le vieux et la vieille qui l’attendaient dans leur cabane. Il leur raconta dans tous les détails l’histoire de la vengeance. Les braves gens furent bien heureux d’apprendre la mort de leur ennemi. Grande fut leur reconnaissance à l’égard du joli lièvre blanc qui les avait vengés. Ils l’adoptèrent pour leur fils, l’appelèrent Usagidono, l’aimèrent et le traitèrent bien. Le lièvre commença dès lors à leur rendre toutes sortes de services.
La veuve du blaireau vivait, avec ses deux enfants, dans une bien misérable condition. Tous les animaux de la montagne savaient ce qui s’était passé. On racontait partout, le soir à la veillée, les méfaits du blaireau, le secours inespéré du ciel, la vengeance du lièvre blanc. Ce dernier était porté aux nues, tandis que la conduite du premier était l’objet des appréciations les plus malveillantes.
Aussi, point n’existait-il de pitié pour la veuve et ses deux fils.
Les pauvres déshérités ne pouvaient plus paraître en plein jour ; dès qu’on les apercevait, c’était à qui les insulterait davantage. On leur jetait des pierres, les chiens aboyaient après eux, les loups les poursuivaient, les lièvres eux-mêmes riaient à leur passage.
L’aîné des deux enfants portait le nom de Tanukitaro ; son frère s’appelait Yamajiro. Ils n’étaient pas méchants comme l’avait été leur père. Mais la situation dans laquelle ils vivaient était intolérable et, de tout cœur, ils haïssaient le joli lièvre blanc, qui avait tué leur père et les avait réduits à cette existence malheureuse.
Un des devoirs les plus sacrés de la piété filiale leur ordonnait de venger la mort de leur pauvre père. Ils décidèrent, en conséquence, de faire mourir son meurtrier. Mais ils savaient que ce dernier n’était point lâche ni poltron, comme le sont, en général, tous ceux de son espèce. Ils jugèrent prudent de s’exercer d’abord au maniement des armes. Voilà pourquoi, toutes les nuits, les deux frères passaient plusieurs heures à faire de l’escrime, sur le devant de leur tanière. 
Yamajiro, quoique plus jeune, fit des progrès beaucoup plus rapides que son frère, car il était plus intelligent que l’aîné, chose que l’on rencontre assez souvent chez les bêtes. Il était aussi plus robuste et plus habile…
Pendant que les deux jeunes blaireaux se préparaient de la sorte à accomplir leur vengeance, le joli lièvre blanc habitait, comme nous l’avons dit, la cabane de Gombéiji. Sa renommée avait pris des proportions colossales. Tous les animaux le respectaient et le saluaient au passage. L’armée des lièvres l’avait nommé son général en chef.
Lui, toujours humble au milieu des honneurs, bon et serviable, rendait à Gombéiji et à Tora toutes sortes de bons offices. C’était lui qui puisait l’eau du puits, faisait la cuisine, lavait la vaisselle, présentait le thé et le tabac aux visiteurs.
On était arrivé au quinzième jour du huitième mois. Or, c’est la nuit de ce quinzième jour que les lièvres célèbrent leur fête patronale. Cette nuit-là, en effet, la lune, leur patronne et leur protectrice se montre dans tout son plein, et dans tout son éclat, au milieu d’un ciel d’une parfaite pureté. La tribu des lièvres se réunit donc chaque année en cette belle nuit pour festoyer, danser et boire.
Cette année-là, la veille du grand jour, Usagidono, à force d’instances, avait obtenu de ses vieux maîtres la promesse de l’accompagner à cette réunion qu’il devait présider lui-même. Ils allaient se mettre au lit, quand ils entendirent les pas d’un visiteur. C’était un lièvre tout jeune. Il pénétra dans la cabane, salua profondément le général en chef, et lui parla en ces termes :
– Excusez-moi de venir vous déranger à une heure aussi tardive. Il s’agit d’une affaire de la dernière importance. Je viens vous supplier de ne pas vous rendre à la réunion de demain soir. Voici pourquoi : les deux jeunes blaireaux, dont le malfaisant père a péri sous vos coups, veulent profiter de la fête pour vous faire un mauvais parti. Ils ne parlent de rien moins que de vous mettre à mort. Ma mère tient la chose d’une belette, amie de la famille. Il paraît aussi que, depuis plusieurs jours, les deux frères s’exercent au maniement des armes, et que Yamajiro, le cadet, y est devenu d’une habileté rare. Vous connaissez le proverbe qui dit : Le véritable héros ne s’expose pas au danger.
Quand le visiteur eut fini de parler, Usagidono répondit :
– Tu es vraiment bien aimable d’être venu me prévenir, et je te remercie de cette preuve d’affection, mais je suis résolu à ne point tenir compte du danger dont tu me parles. Depuis longtemps, je le sais, les deux fils du blaireau complotent ma mort. Quoi de plus juste et de plus naturel ? N’ont-ils pas le devoir de venger leur père ? Chacun son tour en ce monde. Je m’étais figuré que mes deux ennemis, profitant de la faculté de se métamorphoser que leur a octroyée la nature, useraient de ruse pour me tuer à l’improviste. Il paraît qu’ils renoncent à employer ce déloyal stratagème, ils veulent se mesurer avec moi à face découverte. Je les admire et les estime. Je serai heureux de mourir de la main de ces deux braves. Bien loin donc de les fuir, je veux aller moi-même au-devant de leurs coups.
Ainsi parla le joli lièvre blanc. Le vieux Gombéiji l’avait écouté en silence. Puis, il prit à son tour la parole :
– Mon cher enfant, dit-il à son fils adoptif, ce que tu viens de dire est raisonnable, et je ne puis que t’approuver. Laisse-moi cependant te faire une remarque. Tu vas mourir, dis-tu, de la main des blaireaux. Qu’arrivera-t-il après ? Il arrivera que les lièvres qui t’ont choisi pour chef voudront à leur tour venger ta mort : ce sera également leur droit et leur devoir. Ils tueront donc les deux blaireaux. Puis, la tribu des blaireaux voudra venger la mort des deux enfants. La lutte entre lièvres et blaireaux continuera de la sorte de génération en génération, chose fort regrettable. N’y a-t-il pas un moyen de mieux arranger les choses ? Écoute. Voici à quoi je pense depuis quelques jours. Le blaireau que tu as tué était mon ennemi quand il
vivait ; maintenant, il n’est plus de ce monde ; je n’ai aucune raison de lui continuer ma haine. Je songe donc à lui élever un tombeau et à faire célébrer pour lui un service solennel, auquel seraient convoquées les deux tribus des blaireaux et des lièvres. Je ferais aussi une pension à la pauvre veuve. Les deux fils reconnaissants abandonneraient sûrement leur projet de vengeance, et la paix serait rétablie.
Usagidono approuva pleinement la géniale et généreuse proposition de son maître. Il fut donc convenu que tout le monde se rendrait à la fête et que le lièvre blanc annoncerait publiquement la chose. Là-dessus, le visiteur prit congé.
Gombéiji, Tora et Usagidono se couchèrent, l’âme heureuse et le cœur plein d’espérance.
Le moment solennel est arrivé. De toutes les montagnes avoisinantes, les lièvres accourent par groupes joyeux. Ils se réunissent sous une vaste tente, dressée au pied d’un pin énorme et tendue de drapeaux et d’oriflammes qui battent au souffle de la brise. Les salutations d’usage terminées, le repas commence.
Plusieurs centaines de lièvres sont assis, formant un immense cercle. Chacun a devant soi la minuscule table qui porte la fiole de saké, l’assiette de poisson découpé en tranches et la tasse de riz. À la place d’honneur, sur un siège plus élevé, est assis Usagidono, président de la réunion. Il a à sa droite le vieux Gombéiji, et à sa gauche la vieille Tora.
Les deux jeune blaireaux s’étaient approchés en silence, étouffant le bruit de leurs pas. Ils avaient revêtu leur costume de guerre, et portaient au côté deux sabres à la lame affilée. Ils regardèrent à travers les fentes, et aperçurent leur ennemi. Yamajiro voulut à l’instant pénétrer sous la tente et accomplir sa vengeance, mais son frère le retint :
– Attends encore, lui dit-il, en lui saisissant le bras. Tu vois bien qu’ils sont plusieurs centaines. Que pourrions-nous contre un si grand nombre ? Attends ! Ils vont boire. Bientôt ils seront ivres : alors nous pourrons sans danger accomplir notre vengeance.
Les lièvres, en effet, buvaient. Les tasses de saké circulaient de main en main.
Les chants d’usage allaient commencer… Tout à coup, un grand silence se fit dans la salle. Le chef s’était levé et, d’un geste solennel, il avait commandé l’attention. Tous les regards s’étaient tournés vers lui. À la porte, les deux blaireaux intrigués tendirent l’oreille :
– Chers amis, commença l’orateur, puisque nous sommes tous réunis ce soir pour fêter notre illustre patronne, je voudrais profiter de la circonstance pour vous faire une proposition que, j’en suis sûr d’avance, vous voudrez tous accepter.
Des applaudissements éclatèrent, preuve que la proposition du chef, quoiqu’inconnue encore, était assurée à l’avance d’obtenir l’assentiment universel. Le lièvre blanc raconta ensuite dans tous ses détails l’histoire du
blaireau et les péripéties de sa mort. Puis il ajouta :
– Sa veuve et ses deux fils mènent aujourd’hui une existence bien malheureuse. Mis au ban de leur tribu, insultés et maudits par tous les animaux de la montagne, ils subissent un sort qu’ils n’ont pas mérité, car il n’est pas juste que les crimes du père retombent sur ses enfants. Je viens donc vous proposer une réconciliation générale, vous demander de rendre votre amitié à la pauvre veuve et à ses deux braves fils.
Ici, les applaudissement redoublèrent. Les deux blaireaux se regardent, surpris de ce langage auquel ils étaient si loin de s’attendre, Usagidono continua :
– Mon vieux maître, ici présent, veut élever une tombe à son ancien ennemi. Il désire qu’on lui fasse des funérailles solennelles. Il nous demande aussi d’organiser une souscription généreuse pour faire une pension à la veuve infortunée.
À peine ces derniers mots eurent-ils été prononcés, qu’un grand bruit se produisit du côté de la porte. Les deux blaireaux venaient de faire irruption dans la salle. Les lièvres, effrayés, se levèrent d’un mouvement commun et se massèrent autour de leur chef. Les deux frères s’étant avancés jettent au loin leurs armes et se prosternent devant Usagidono, versant des larmes abondantes.
Le lièvre blanc les relève et les embrasse. Alors un frémissement d’émotion s’empare de la salle entière. Les deux blaireaux sont portés en triomphe. Une danse folle s’organise et, jusqu’à l’aurore, jusqu’à ce que la lune ait disparu derrière la montagne, ce fut une fête telle que les lièvres n’en avaient jamais eu.
Le lendemain, Usagidono promena dans la campagne la veuve du blaireau et ses deux enfants. Il leur fit faire de nombreuses connaissances et les réconcilia avec tous leurs ennemis. Les deux tribus des lièvres et des blaireaux se réunirent ensuite : on se jura de part et d’autre amitié éternelle ; puis, un cortège s’organisa
et le corps du blaireau fut transporté dans la tombe que Gombéiji lui avait préparée.
Le corps du blaireau fut transporté dans la tombe qui lui avait été préparée.
Depuis ce jour, lièvres et blaireaux ont toujours vécu dans les rapports de l’harmonie la plus parfaite et de la plus étroite amitié

Conte japonais

Il y avait une fois, dans un petit village comme il en existait tant d’autres au Japon, trois enfants qui adoraient jouer dehors.

Kazuo, le plus âgé, tentait de passer pour un adulte, son attitude sérieuse toujours gâchée par sa continuelle goutte au nez. Sa soeur, Chiyo, était une grande gigue toute en coudes et genoux, toujours prête à la bagarre. Et tous savait que Nobu, le fils du bûcheron, pouvait jacasser de tout et de rien des heures durant si vous le laissiez faire.

Qu’il pleuve ou qu’il vente, dès que leurs parents avaient le dos tourné, tous trois couraient vite à la lisière du village qui résonnait de leurs rires joyeux.

Un jour, alors qu’ils faisaient la ronde, chantant faux tout leur saoul, une voix inconnue se joignit à eux.

Les trois amis stoppèrent net et se retournèrent. A demi caché derrière un buisson, clignant des yeux comme un chouette, se tenait un petit garçon qu’ils n’avaient jamais rencontré auparavant.

Kazuo bomba le torse et ordonna :

– Décline ton nom, étranger !

Nobu détaillait le nouveau venu sans cacher sa curiosité :

– Tu es malade ? Ta peau est très rouge. La mienne est toujours comme ça quand –

Levant les yeux au ciel, Chiyo l’interrompit avec la délicatesse d’un sanglier qui charge :

– Mais laisse le parler !

L’étrange enfant s’avança à petit pas :

– Vous étiez en train de… jouer ? Je crois que je n’ai jamais fait ça avant.

Les trois amis échangèrent des regards choqués : un enfant qui n’avait jamais joué ! Immédiatement, leurs visages se peignirent de pitié. Kazuo déclara, sérieux comme un moine :

– On peut te montrer si tu veux.

Et l’enfant rouge se joignit à eux. Pendant des heures, tous les quatre jouèrent à chat, à la balle, et rirent – et se disputèrent un peu.

Soudain, l’estomac de Nobu grogna, bientôt imité par ceux de ses amis :

– Maman dit que les kaki ne sont pas encore mûrs. C’est nul, je pourrais en avaler un seau complet là tout de suite !

Alors que Kazuo et Chiyo hochaient la tête, l’étrange enfant répondit doucement :

– Chez moi, les fruits sont toujours mûrs. Des châtaignes sucrées et des kaki moelleux. Nous en mangeons tous les jours.

Il fit une pause et sourit timidement :

– Je pourrais vous y emmener si vous le souhaitez.

Les trois autres, qui en bavaient déjà presque d’envie, acquiecèrent avec vigueur et l’enfant rouge eu un sourire radieux.

Il se leva et dénoua sa souple ceinture. Puis, guidant les mains de ses amis sur le long, long morceau de tissu, il dit simplement:

– Tenez la bien et vous ne tomberez pas.

Et il s’élança dans le ciel.

Kazuo jura, Chiyo poussa un cri de joie, et Nobu ferma fermement les yeux. Les nuages tourbillonnaient tout autour d’eux, alors que le monde défilait à folle vitesse sous leur pieds.

Aussi soudainement qu’il s’était envolé, l’enfant rouge atterrit dans un magnifique verger. A perte de vue s’étendaient des arbres portant des fruits aussi brillants que des joyaux.

L’enfant rouge plissa malicieusement les yeux devant la mine ébahie de ses amis. Une chaude bourrasque secoua un plaqueminier, et des kaki frais roulèrent doucement aux pieds des enfants subjugués.

Les doigts gluants, les lèvres collantes, ils se goinfrèrent encore et encore. Jusqu’à ce que quelque part au loin le tonnerre gronde.

L’enfant rouge, soudain nerveux,bondit sur ses pieds et s’inclina vivement :

– Je n’avais pas vu l’heure, il faut que j’y aille. A bientôt.

Et il disparut, haut, haut, haut dans le ciel. Le cri de Nobu se perdit dans le vent :

Attends ! Comment allons nous rentrer chez nous!

Les trois amis se dévisagèrent abasourdis. Kazuo pointa finalement une direction :

– Je crois que nous sommes arrivés par là. On a plus qu’à rentrer à pied.

Aucun d’entre eux n’ayant de meilleure idée, les trois enfants se mirent en chemin. Ils marchèrent et marchèrent dans le soleil couchant. Le verger semblait être un monde sans fin.

Rapidement, Nobu se mit à geindre :

– On est bientôt arrivé ? Je veux retrouver Maman, et Papa, et…

Chiyo grogna :

– Si tu continues de pleurer, les renards vont t’entendre, et ils t’enlèveront, et ils te mangeront.

Après ça, le silence se fit et ils continuèrent à avancer, se tenant fermement par la main.

Entre deux châtaigniers, lourds de belles bogues, une petite maison finit par apparaître. Une dame replète, brillante comme un soleil, était assise près de la porte.

Soulagés, les enfants accoururent à ses côtés et bafouillèrent tous en même temps :

– Madame, madame ! Nous sommes perdus ! S’il te plait aidez nous ! Il y avait un enfant, et nous avons joué, et il nous a amené ici pour manger des kaki, et il a disparut, et…

La femme s’assombrit comme un ciel d’orage. Elle se tourna vers la maison et tonna:

– Venez ici une minute.

Quatre enfants apparurent. L’un, avenant, avait un sourire lumineux et une peau bleuâtre, un autre était souple, noir et silencieux. Le troisième d’une blancheur de lait avait un regard sauvage et indomptable. Et le dernier était l’enfant rouge.

La femme gronda :

– Lequel d’entre vous a oublié de raccompagner ses nouveaux amis chez eux ?

L’enfant rouge leva une main timide. La dame soupira et s’inclina devant les trois enfants :

– Toutes mes excuses. Mon fils, le vent du Sud, n’est pas méchant mais il est toujours tellement tête en l’air…

Elle lui jeta un regard sévère :

– Toi, jeune homme tu es puni. Et pas de “mais”. Vous trois, ramenez ces pauvres petits à leurs parents, ils doivent être morts d’inquiétude.

L’enfant blanc prit Chiyo sur son dos et s’envola, crépitant comme la foudre. Sans attendre, son sombre frère entraîna Kazuo  à leur suite dans une bourrasque glaciale, alors que que le plus radieux des trois portait un Nobu tout pâle qui marmonnait :

– Pas encore…

Et l’on dit qu’à partir de ce jour, on vit souvent les enfants du vent partager les jeux des enfants des hommes. Sans jamais plus oublier dans les ramener chez eux le soir.

Conte japonais

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Il y a bien longtemps, il y avait sur la côte de Wakasa un petit port florissant qui se dressait sur une mer tranquille.

Béni par des marées et un temps toujours cléments, ses pêcheurs rentraient chaque soir leurs lignes et filets pleins de poissons argentés.

Les gens du village étaient si reconnaissants de leur bonne fortune qu’ils n’oubliaient jamais de remercier les nombreux dieux de l’océan.

Chaque année, tous tiraient grand les portes de leur maisons, ouvrant leur foyers chéris aux quatre vents.

Un jour durant, chacun se réjouissait, dansant et buvant à plus soif. Et lorsque le soleil se couchait paresseusement, les pêcheurs portaient l’autel du sanctuaire dans les flots rougeoyants, rendant pour une nuit leurs dieux à la mer.

Une année, alors que la mer s’obscurcissait, un bateau comme jamais l’on en avait vu apparut sur l’horizon.

Glissant sans efforts, il s’amarra avec une grâce surnaturelle. Sur le pont se tenaient sans ciller des êtres habillés de d’écume, dont les sourires aigus dévoilaient des dents de perles.

Sans un mot, ils tendirent des mains semblables à des nageoires aux pêcheurs fascinés. Et l’un après l’autre, tous embarquèrent sur l’étrange bateau, sans un regard pour leur maisons sur le rivage.

Alors que les voiles se gonflaient comme par magie, les pêcheurs se figèrent au milieu des ondins. Partout s’étalaient plus de richesses qu’ils n’en avaient jamais vu.

Comme des mouettes affamées, les humains s’éparpillèrent, touchant avidement coraux les plus fins et abalones iridescentes, sous les regards amusés de leurs hôtes silencieux.

Alors que l’un des pêcheurs vagabondait, stupéfait, il entendit soudain des gargouillement étouffés monter depuis la cale. Curieux, il s’approcha à pas de loup… et ravala un cri.

Un ondin torse nu, la peau recouverte d’une myriade d’écailles, se dressait parmi des marmites un couteau à la main. Dans l’autre, il tenait fermement le plus bizarre des poissons.

Le bas de son corps n’était que peau d’anguille, gluante comme une algue. Mais, son autre moitié, dont le visage froissé évoquait un bébé en colère, était définitivement humaine.

Avant qu’il ait pu faire un geste, le cuisinier avait déjà évidé et découpé la sirène, jetant morceaux après morceaux sur le grill fumant.

Ecoeuré, l’homme rebroussa précipitamment chemin jusqu’à trouver ses amis dans une somptueuse salle de banquet, attablés avec les ondins devant des plateaux de nacres.

Les pêcheurs travaillaient depuis si longtemps ensemble qu’ils se connaissaient par coeur. Alors qu’il prenait place, tous remarquèrent immédiatement son visage dégoûté.

Mais déjà le festin commençait.

Les plats raffinés défilèrent, tous délicatement présentés, Les pêcheurs mangeaient avec précaution, peu habitués à certains goûts mais rechignant à déplaire à leurs hôtes. Jusqu’à ce que la viande ne soit servie.

L’homme sentit son estomac se soulever. Il leva désespérément la tête et croisa le regard de ses amis. Pointant son assiette, il secoua prudemment la tête.

Tous comprirent immédiatement. Aussi discrètement que possible, chacun prétendit engloutir la viande. Mais, d’un rapide mouvement de baguettes, il firent glisser les morceaux dans les manches de leurs kimono – jusqu’à ce que toutes les assiettes soient vides.

Les ondins ne s’aperçurent de rien. Et le reste de la nuit s’écoula sans encombre, remplie de chansons humaines et d’étranges rires feutrés.

Lorsque le ciel commença à s’éclaircir, le bateau accosta une nouvelle fois près du village. L’un après l’autre, les pêcheurs descendirent, saluant timidement les ondins qui se changeaient en brume sous les premiers rayons du soleil.

Mais dès que le bateau eut disparu, tous saisirent la viande dégoûtante qui pesait dans leurs manches et la jetèrent dans l’océan, murmurant des prières dans leurs barbes.

Tous sauf Takahashi, le plus jeune d’entre eux, qui fit simplement semblant de jeter le sien à l’eau avant de rentrer chez lui sur ses jambes avinées.

Il rangea son morceau dans une boite, en souvenir de cette étrange soirée, puis il remisa la boîte au plus profond d’un placard. Et il s’étala sur son lit, ivre mort.

Les mois passèrent. Mais un jour, comme la fille de Takahashi nettoyait la maison de fond en comble alors que son père était en mer, ses doigts agiles trouvèrent la petite boîte cachée sous le fatras.

Elle l’ouvrit avec curiosité. A l’intérieur, le morceau de viande était aussi juteux qu’au premier jour.

La fille ne put résister et n’en fit qu’une bouchée. Puis, un peu honteuse, elle remit à sa place la boite et ne souffla mot à personne de sa secrète gourmandise.

Au début, tout alla pour le mieux. La vie suivit son cours dans le petit port de pêche. La fille de Takahashi devint une jolie jeune femme et trouva bien vite un mari.

Mais alors que les années s’écoulaient, les gens commencèrent à murmurer.

Le dos du mari se courba, les enfants grandirent et pourtant, la fille elle demeurait jeune et pleine de vie. Toute une vie de dur labeur ne semblait avoir eu prise sur elle. Pire, certains juraient même avoir surpris au crépuscule sa peau briller comme la lune sur l’océan.

Ses parents moururent, puis son mari, puis ses enfants et petits enfants, pourtant elle demeurait comme figée dans le temps.

Au village, tous l’évitaient, la maudissant à demi mot lorsqu’elle croisait leur chemin, cheminant triste et solitaire et pleurant des êtres qu’elle seule avait connu et aimé.

Un jour, elle n’y tint plus. Elle rasa ses cheveux, passa un voile et disparut.

On dit que la fille que ne pouvait vieillir voyagea à travers le pays des siècles durant, tentant de trouver la paix comme nonne errante.

Et que, lorsqu’elle revint enfin sur les terres de son enfance, elle planta un camélia blanc à deux pas d’une grotte sous marine avant de sauter dans les abysses pour ne plus jamais refaire surface.

Telle fut la bénédiction de la chair de sirène.

Conte japonais

Derrière l’herbe haute
La vérité est dans le doigt
Ts’ui Kiu
Chouai l’artisan
Le karma du moinillon
L'histoire de Tang
Le moine et le moineau
La tortue boiteuse
Légende urbaine
Le rêve de Tao
Ourashima Taro et la Déesse de l’Océan
La petite Voleuse
La Vengeance du Lièvre
Les enfants du vent
Un festin de sirène

Dans un grand nombre de pays, les jours fériés se passent pendant les jours les plus sombres, au plus froid de l’hiver. En Asie, vivent toutes sortes de gens qui célèbrent toutes sortes de fêtes. Chaque groupe a ses traditions et ses histoires mais il existe cependant une fête que tout le monde fête et c’est le Nouvel An Lunaire que nous appelons le Nouvel An chinois. Cette fête tombe toujours entre la mi-janvier et la mi-février. Chaque habitant place des papiers rouges sang autour de sa porte d'entrée. Sur ceux-ci sont écrits d’une belle écriture des tas de bons vœux pour le Nouvel An. En plus, à l’aube, les habitants font exploser des pétards. Cette histoire est une des histoires qui explique pourquoi les gens font ces choses.
Il y a bien longtemps, quand des dragons puissants vivaient sur la terre et dans les mers, personne à Taiwan ne célébrait le nouvel an lunaire. Même dans un certain village, ce jour était le plus mauvais jour de l'année parce qu’un habitant avait tué un dragon des mers. Tout le monde sait que c’est une chose terriblement malheureuse à faire car le fantôme du dragon revenait hanter le village chaque année à l'aube du nouvel an.

Lorsqu’il apparaissait, il secouait son horrible tête et hurlait : « J'ai faim. Donnez-moi un fils premier-né à manger! »
- « Non! non! Nous ne ferons pas ça !" répondirent les villageois en pleurs."Nous ne vous donnerons pas d'enfant à manger!"
- "Alors je vous tuerai tous!" Et le fantôme de dragon soufflant son haleine puante et chaude en direction du village. La fumée s’insinuait partout et les villages commençaient à tousser. Certains perdaient même connaissance. Le plus sage du village se rendant compte que le fantôme de dragon pourrait facilement les faire tous mourir, décida à contre-cœur de donner un enfant nouveau-né afin de sauver le reste du village. Il espérait qu’avec cette offrande, jamais plus le fantôme du dragon ne reviendrait. Mais année après année, le fantôme de dragon revenait et année après année, une famille devait sacrifier son fils premier-né pour satisfaire la voracité de l’animal.

Une année, c’était au tour de la jeune Veuve Teng de sacrifier son seul enfant, un beau garçon qui allait avoir cinq ans.

Comme le voulait la tradition, quatre jours avant le nouvel an lunaire, le prêtre Taoïste quittait le temple et s’en allait à travers le village jusqu’à la maison de l’infortunée qui devait sacrifier son premier enfant. Comme il marchait en direction de la crique, là où se trouvait la maison de la Veuve Teng, tous les villageois se demandaient avec hésitation, "Où va-t-il cette année ?"
"Chez la Veuve Teng." dit une femme
"Oh non pas chez elle. C'est son seul enfant !" s’écria une autre.

Les voisins de la Veuve Teng s’étaient rassembles tout autour de la maison. Ils s’attendaient à entendre des cris de douleur au moment où elle apprendrait la terrible nouvelle. Mais rien. Aucun son ne parvenait de sa petite maison. Lorsque le prêtre est reparti, ils se sont précipités pour voir ce qui se passait. Ils la trouvèrent assise dans sa cuisine.

- "Le prêtre ne vous a pas dit les nouvelles ?"
- "Oui, il m'a dit," a répondu la veuve calmement.
- "Mais pourquoi ne pleurez-vous pas ?"
- "Parce que je n'ai pas de temps pour pleurer" leur dit la Veuve Teng. " Je pense à une façon de rouler le fantôme de dragon. Il n'aura pas mon fils."

Pendant trois jours et trois nuits, elle a arpenté le sol essayant d’échafauder un plan. De temps en temps, elle faisait une pause et regardait son fils qui joutait dans la cour. Elle priait aussi à l’autel de ses ancêtres et à tous les dieux dont elle connaissait les noms. Lorsque son fils s’endormait, elle s’asseyait à côté de lui et lui caressait doucement le visage qui ressemblait tellement à ce lui de son père. Elle alla même consulter la diseuse de bonne aventure, les prêtres et chacun dans le village. Mais personne ne savait que faire. La situation semblait désespérée.

Lasse de tant attendre, de tant marcher, de tant prier, elle s’endormit épuisée sur le sol devant l’autel des ancêtres de la famille. Son petit fils qui l'avait vue se dit qu’il ne devait absolument pas l’éveiller car elle rêvait peut-être et il ne voulait pas lui couper son rêve…

Bien lui en prit car effectivement sa mère rêvait. Parce qu’elle n’avait pas dormi durant trois jours, une masse de rêves lui venaient dans un ordre décousu. Elle voyait des dragons et des fantômes, la peur et la crainte, des enfants innocents et de la douleur, du sang et de grands bruits et puis de la joie le tout tourbillonnant dans sa tête.

Quelque heures avant l'aube, elle s’éveilla et doucement secoua sa tête encore douloureuse d’avoir tant rêvé. Et alors, le miracle se produisit. Les images décousues s’assemblèrent et elle su ce qu’il fallait faire.

Les dragons de son rêve avaient peur de deux choses : peur de la vue de sang et peur des bruits violents. Quand quelqu'un a peur, il s’enfuit en général en courant. Mon plan sera simple : Je mettrai le sang sur ma porte et je ferai tant de bruit que le fantôme du dragon sera effrayé et partira en courant…"

"Du sang ... je suis si pauvre que je n'ai pas même un poulet à tuer pour prendre son sang." Elle prit son couteau le plus pointu et se coupa au doigt, laissant gouttes à gouttes couler son sang sur un tissu jusqu'à ce que toutes les gouttes jointes ensemble recouvrent entièrement l’étoffe. Elle prit le tissu et l’accrocha à l'extérieur, sur sa porte.

Maintenant faire des bruits violents… Les pétards seraient le mieux mais je n'en ai pas. Je suis si pauvre que je ne pourrai pas en acheter et en plus, il n’y a aucun magasin ouvert aujourd’hui. Elle réfléchit et pensa aux bambous. Elle savait que lorsque des morceaux de bambou brûlent, ils se fendent dans un bruit épouvantable. Elle prit son couteau pointu elle s’en alla dans le froid afin de couper une douzaine de grands morceaux de bambou. Elle les plaça en pyramide devant sa porte juste au-dessous du tissu taché de sang. Ainsi disposés, ils brûleraient rapidement et éclateraient tous à la fois.

Quand devrais-je allumer le feu ? Juste à temps. Ni trop tôt, ni trop tard. Afin qu'il éclate dans le visage du fantôme de dragon. Elle alluma une petite torche et s'accroupit dans l’embrasure de la porte attendant l'aube et la venue du fantôme de dragon.

Elle a attendu et attendu. Il lui semblait tellement elle attendait que le soleil était gelé au-dessous de l'horizon et ne monterait pas aujourd’hui. Tout était calme, si calme que le seul bruit qu’elle entendait les coups de son cœur. Finalement la lune et des étoiles ont commencé à disparaître du ciel.

Faiblement, elle a entendu le hurlement du fantôme de dragon

"Etait-il temps d’allumer le feu ? Non, le fantôme de dragon était trop loin."

Chacun dans le village était tapi dans son lit sous les édredons et les couvertures. Personne ne dormait sachant que la Veuve Teng attendait le fantôme de dragon. Seul son fils dormait du sommeil d’un ange.

On entendit un hurlement. Le fantôme de dragon devait être en bas au centre du village. Il était temps pour elle d’allumer. La Veuve Teng prit sa lanterne, l’inclina vers la pyramide de bambou et l’enflamma.

Elle entendait la terre qui tremblait sous le poids du fantôme du dragon qui marchait vers sa petite maison. Il descendait à présent sa ruelle, il s’approchait…

Arrivé devant chez elle, le fantôme de dragon s'est arrêté devant la maison et voyant le linge taché de sang, s’est mis à hurler si fort que tous ses os ont tremblé. Au même moment, le feu de bambou a éclaté. Le fantôme du dragon terrifié par la vue de sang humain et les bambous qui éclataient s’est enfui en courant à travers le village.

Et la Veuve Teng ? Elle s’est assise et de grosses larmes se sont mises à couler.

Les gens du village sont accourus. Les cloches se sont mises à sonner et de tous les côtés, les gongs célébraient ce grand jour tandis que les pétards faisaient éclater la joie !

Et depuis ce jour, chaque année, dans chacun des villages, on met le sang des papiers rouges autour de leurs portes et on allume des pétards bruyants à l'aube et depuis lors, le fantôme de dragon n'est jamais revenu.

Conte chinois

L'histoire de la nouvelle année

Sur la demande de l'Empereur Céleste, Yi abattit les neuf soleils, châtia le démon des eaux Hebo et tua nombre de monstres et d'animaux féroces. Le peuple l'aimait et le vénérait. Yi voyageait beaucoup, se liait d'amitié avec la population et menait une vie paisible.

Un jour, alors qu'il chassait dans les bois, Yi traversa un ruisseau et aperçut sur l'autre rive une jeune fille puiser de l'eau avec un tube de bambou.

Un jour, alors qu'il chassait dans les bois, Yi traversa un ruisseau et aperçut sur l'autre rive une jeune fille puiser de l'eau avec un tube de bambou. Sa longue course l'avait assoiffé. Il s'approcha de la jeune fille et lui demanda à boire. Devinant qu'il était le héros Yi, elle l'accueillit aimablement, lui offrit à boire et lui cueillit une belle fleur en témoignage de son respect. Yi choisit alors dans ses trophées une magnifique peau de renard et lui en fit cadeau.

En bavardant avec elle, il apprit qu'elle s'appelait Chang E. Ses parents avaient été tués par des animaux sauvages. Depuis, elle vivait seule.

Yi se prit de pitié pour elle et Chang E le respectait beaucoup. les deux jeunes gens tombèrent amoureux l'un de l'autre. Peu de temps après, Yi et Chang E se marièrent et devinrent inséparables.

Très attachés l'un à l'autre, ils menaient une vie heureuse, et Yi oublia complètement de retourner au ciel.

Trois années plus tard, l'Empereur Céleste ordonna à Yi de retourner au ciel.

Lorsque l'Empereur Céleste apprit que Yi s'était marié sur Terre et ne voulait pas revenir au ciel, il se mit dans une grande colère. Dès lors, il fut interdit à Yi de remonter au ciel, mais il se consola en trouvant qu'il était plus heureux sur terre. Ainsi continua-t-il à vivre sur la Terre.

Mais Yi savait que la vie des êtres humains a ses limites. Un jour, il dit à sa femme :

- Quand j'étais au ciel, j'ai entendu dire que dans les monts Kunlun, à l'Ouest, habite la Reine-mère d'Occident. Elle possède une pilule d'immortalité. Je vais aller la chercher.

Ils étaient très tristes de cette première séparation mais, pour vivre éternellement tous les deux, ils étaient prêts à affronter le danger et la mort. Yi prit son arc et ses flèches, enfourcha un bon cheval et se dirigea vers l'Ouest.

Après avoir surmonté d'innombrables difficultés, Yi arriva enfin au pied des monts Kunlun. Yi arriva enfin au pied des monts Kunlun.

La Reine savait que Yi était un héros céleste qui avait délivré le peuple de nombreux fléaux. Aussi l'accueillit-elle avec beaucoup de respect.

Ayant appris le but de sa visite, la Reine ordonna à l'Oiseau à trois pattes, gardien des pêches d'immortalité, d'apporter une calebasse contenant une pilule d'immortalité fabriquée à partir d'un des fruits de l'arbre d'immortalité. Cet arbre ne donnait des fruits qu'une fois tous les trois mille ans ; c'est pourquoi ces pilules étaient très rares et extrêmement précieuses.

- Emporte cette pilule, dit la Reine, c'est la seule qui me reste. Néanmoins, c'est largement suffisant pour ton épouse et toi : Prenez-en chacun la moitié, et vous deviendrez immortels. Mais attention, si l'un de vous deux l'avale entière, il s'envolera au ciel et ne pourra jamais plus redescendre sur Terre.

- Je ne suis venu chercher la pilule d'immortalité que pour vivre éternellement avec Chang E, répondit l'Archer céleste. Puis il prit la calebasse, remercia la Reine et partit.

Lorsque Yi retrouva Chang E, il lui raconta tout ce qui s'était passé et lui confia la pilule d'immortalité.

Je suis passé par mille épreuves pour aller la chercher. Si nous la partageons, nous deviendrons immortels tous les deux. Mais si l'un de nous l'avale entière, il ira au ciel sans espoir de retour. Garde-la précieusement, nous la partagerons un jour faste prochain et nous vivrons ensemble éternellement heureux.

Chang E mit la calebasse dans sa poche avec précaution

Yi habitait sur la Terre depuis longtemps déjà et un grand nombre de jeunes gens venaient le voir pour apprendre le tir à l'arc. Yi leur enseignait consciencieusement son art. Lorsque le maître est compétent, ses disciples sont brillants, dit le proverbe. De fait, la plupart de ses élèves devinrent de célèbres archers.

L'un d'entre eux s'appelait Feng Meng. C'était un bon archer, mais un homme ambitieux et jaloux. Il caressait l'espoir que son maître mourût avant lui, afin de devenir le meilleur archer du monde.

Un jour que Yi était allé chasser, Feng Meng en profita pour pénétrer chez lui et menaça Chang E de son arc.

- Donne-moi vite la pilule d'immortalité, lui ordonna-t-il, sinon je te tuerai.

Surprise, Chang E lui demanda :

- Feng Meng, tu es le disciple de Yi ; pourquoi... ?

Je ne considère plus Yi comme mon maître. Devrais-je toujours rester un archer de second ordre toute ma vie ? Non, car il mourra avant moi ! rétorqua Feng Meng en riant sarcastiquement.

Chang E était rouge d'émotion et de colère.

- Allons, dépêche-toi de me donner cette pilule ! Cria Feng Meng en brandissant son arc d'un air menaçant.

Chang E pensa à toutes les épreuves que son mari avait dû traverser pour aller chercher la pilule d'immortalité. Elle ne devait pas laisser Feng Meng s'en emparer. Alors Chang E sortit de sa poche la pilule et, au moment où Feng Meng tendait la main, la porta rapidement à la bouche. Elle l'avala et s'élança vers la porte.

Chang E avait déjà franchi le seuil lorsqu'elle se sentit toute légère et s'envola vers le ciel. En pensant à son mari resté sur terre, elle décida de se réfugier sur l'astre le plus proche, la Lune. Dès lors, le Palais lunaire, dans lequel vivait désormais Chang E, brilla d'un éclat nouveau.

Lorsqu'à son retour de la chasse, Yi apprit ce qui s'était passé, une immense tristesse l'envahit. Il regarda la Lune et pensa à sa femme Chang E ; des larmes inondaient ses joues.

Devant l'ingratitude que Feng Meng lui avait témoigné, Yi fut rempli de colère. Il prit son arc et ses flèches et sortit à la recherche de son disciple.

Feng Meng s'était caché dans un bois derrière la maison de Yi. Lorsque celui-ci passa à la hâte devant lui sans le voir, il lui assena un violent coup de bâton sur la tête. Yi s'affaissa, mortellement blessé.

Lorsque les disciples de Yi découvrirent le crime de Feng Meng, ils arrêtèrent ce dernier immédiatement, l'attachèrent à un grand arbre et le transpercèrent chacun d'une flèche. Son ambition démesurée l'avait mené à sa perte.

Conte chinois

La déesse chang

Li Ming habitait une petite province de Chine. Nous l'avons rencontrée lors d'un voyage organisé à Pékin. Elle était debout, vêtue du costume de Mao, ses cheveux tressés et ses yeux remplis de curiosité. Devant ce temple majestueux qui attirait tous les touristes, elle ne cessait de dévisager tous ces étrangers. Puis, l'on ne sait pourquoi, elle s'est approchée. Elle a prononcé quelques mots dans sa langue. Nous ne la comprenions pas. Le groupe s'est éloigné, désintéressé. Son regard était si implorant! Je suis restée. Je l'ai suivie. Elle marchait à grands pas, heureuse. Nous sommes arrivées dans une petite ruelle, grisâtre et fumante. Des marchands ambulants tentaient de vendre leurs plats odorants. Elle s'est arrêtée près d'une porte, l'endroit étati sombre. Nous sommes entrées. Le ciel s'est éclairci, la luminosité était étourdissante. Et devant nous se dressait l'ancienne Chine. Un véritable Empire comme je l'avais imaginé avant d'entreprendre mon voyage. Un palais majestueux, coloré, éblouissant. Et puis une place immense pour le moment inanimée.
Li Ming m'a demandée de traverser cette place et de m'asseoir sur les marches du palais; elle m'a fait comprendre qu'il fallait que j'attende et que je regarde. J'ai attendu et j'ai vu...
Mille personnages se sont activés et préparaient vraisemblablement une fête. Ils étais tous vêtus de soie colorée et mon regard s'est posé. Il y avait là un palanquin dans lequel se trouvait une jeune femme visiblement heureuse. Elle ressemblait étrangement à la petite chinoise qui n'était d'ailleurs plus à mes côtés. Les mêmes yeux si expressifs et enjoués. Elle attendait.
Tambour battant un cortège est arrivé mené par deux hommes, suivi lui aussi, d'un palanquin contenant un jeune homme. Les palanquins sont maintenant côte à côte, aucun regard ne se croise. Les deux jeunes gens sont invités à se rendre au palais. J'assiste bien à un mariage. Spectatrice, je suis invisible à leurs yeux, Li Ming n'est toujours pas revenue. Les jeunes mariés montent les marches sur lesquelles je suis assise; le cortège les suit.
Et puis tout s'éteint. Le temps s'arrête quelques minutes. La place est à nouveau déserte et la petite chinoise a repris place à mes côtés. J'ai du mal à comprendre. Elle prend ma main, nous montons les marches du palais et découvrons son intérieur. Elle me montre deux portraits, un homme et une femme; le dernier Empereur de Chine et l'Impératrice. Ces portraits ont une centaine d'années et pourtant il s'agit bien là des jeunes mariés que j'ai vus il y a queques instants.
Puis Li Ming sort de sa poche une montre gousset et m'explique avec des gestes et quelques mots, que nous avons remonté le temps. C'est un pouvoir qu'elle possède dès qu'elle passe la porte de cette ruelle. Li Ming ne connait que son prénom. Sa famille ne vit pas à Pékin. Elle y vient lorsque ses parents agriculteurs décident d'aller y vendre des produits de leur culture. Elle aime découvrir et c'est en se promenant dans ce vieux quartier que tous ces évènements se sont produits. Elle voulait aujourd'hui que quelqu'un découvre un tout petit bout d'histoire de l'ancienne Chine avec elle. C'est pour celà qu'elle dévisageait tous ces touristes si intensément. Elle faisait un choix. Elle m'a choisie.....

Conte chinois

La petite chinoise

Lu-Lung est une toute petite cité, située au pied d'une très haute montagne, dans la Chine lointaine. La ville est tellement petite que tout le monde s'y connaît. Les maisons sont tellement proches les unes des autres, qu'en hiver, lorsqu'il gèle à pierre fendre, on a réellement l'impression qu'elles se protègent du froid les unes les autres.
Dans la ville de Lu-Lung vit depuis très très longtemps une pauvre veuve. La femme a un fils. Un garçon superbe qu'elle a appelé Wang, le nom que portait déjà son grand-père. Dans la ville de Lu-Lung, personne n'est aussi fort ni aussi courageux que Wang. Sans rien en dire, toutes les femmes envient la pauvre veuve d'avoir un fils aussi fort et aussi courageux.
Wang et sa mère mènent une vie paisiblement heureuse si ce n'est la présence dans la maison d'à côté de l'usurier Yu. Ils sont constamment ennuyés par lui. Le vieil homme est malade de jalousie devant la force et la jeunesse de Wang et il ne rate aucune occasion pour tourmenter le jeune homme et sa mère. Sans cesse, il leur fait des remarques désobligeantes. Bien sûr, c'est de la méchanceté gratuite mais au fil des jours, les remarques commencent à peser sur Wang et sa mère.

Un soir alors que Wang est assis dans le jardin devant la maisonnette, Yu demande à la veuve :- -"Comment se fait-il que ton fils vive toujours chez toi ? Il me semblait que les jeunes de son âge étaient mariés depuis bien longtemps. Sans doute, les jeunes filles de Lu-Lung ne sont pas assez bien pour lui et il attend une princesse…"
La veuve très digne le toise avant de lui répondre :
- "Après tout, pourquoi pas ? Ton idée n'est pas si bête en somme. Wang est le jeune homme le plus beau et le plus courageux de toute la région. Une princesse ferait certainement une bonne affaire en l'épousant! "
L'usurier se met à rire et dit :
- "Dans ce cas, il risque d'attendre très longtemps. Dans la région, il n'y a pas de princesse!" mais fort en colère et dépité, il rentre chez lui en claquant la porte de son logis.
La veuve se demande bien pourquoi un vieil homme peut être encore aussi méchant. S'il était plus gentil, il serait sans aucun doute plus heureux et tout le monde l'aimerait… Elle regarde son fils avec des yeux emplis de tendresse et lui dit :
- "C'est vrai dans le fond ! Je suis certaine qu'une princesse serait très heureuse avec toi! "
Wang sourit :
- "Le voisin a raison : il n'y a pas de princesse dans la région. Et, puis, si j'en trouvais une, comment pourrions-nous l'accueillir dans cette petite maison?"
Wang se lève et prend gentiment sa maman par l'épaule.
-"Viens", dit-il, "Rentrons. Il est inutile de rêver. Jouons plutôt une part de dominos."

Les années passent. Rien de bien important n'arrive dans la vie de Wang et de sa mère. Le garçon devient de plus en plus beau et de plus en plus fort, mais ne parle toujours pas de se marier. Sa mère est hantée par les paroles du vieil usurier et ne peut que soupirer. Il lui semble parfois que son fils attend vraiment une princesse qui accepte de l'épouser...

Un jour, alors que Wang est en train d'étudier dans sa chambre, il entend un bruit inattendu. Il regarde vers la statuette de Bouddha qui trône dans la pièce et aussitôt, la porte s'ouvre et un délicieux, un enivrant, un subtil parfum de glycine envahit les lieux. Dans l'embrasure de la porte, se tient une très jeune femme. Elle porte un kimono de couleur mauve de la même couleur que ses yeux et que les rubans qui nouent ses longs cheveux noirs. A son cou, brille un collier de perles éclatantes et, sur ses mains très blanches, scintillent des saphirs et des diamants. Wang n'en croit pas ses yeux. Il pense qu'il rêve. Il doit être tombé endormi alors qu'il étudiait. Son imagination surexcitée lui joue un tour…

La jeune femme s'avance vers lui et dit d'une voix cristalline :
- "Non, Wang, tu ne rêves pas. Je suis la princesse de la Forêt des Glycines et je suis venue jusqu'ici pour te dire que je veux t'épouser."
Gêné, le jeune homme ne sait pas quoi répondre. Il sent les murs de sa chambre qui se rétrécissent. Lui devient minuscule face à tant de beauté. Il regarde désespérément son mobilier sans valeur. Il ne possède même pas le moindre cadeau à offrir à la princesse en signe de bienvenue... La seule pièce de valeur qui lui appartient est le jeu de dominos en ivoire. C'est là sa seule richesse. Il le dépose aux pieds de la jolie visiteuse qui se met à battre des mains de joie en ouvrant la petite boîte laquée.

"Tu aimes donc jouer aux dominos ?", demande-t-elle toute à la fois ravie et surprise et tout aussitôt, elle dispose les pièces sur la petite table et invite Wang à venir s'asseoir auprès d'elle pour disputer une partie.
Le jeune homme, bon joueur, a bien du mal à se concentrer. Son regard est sans cesse attiré par sa trop belle partenaire!
-"J'ai gagné! ", s'exclame celle-ci peu après en arborant un très large sourire. "Je dois reconnaître que je n'ai jamais affronté un aussi redoutable adversaire. Lorsque nous serons mariés, nous nous mesurerons chaque jour aux dominos! "
- "Donc... ", balbutie Wang avec beaucoup d'efforts, "donc, vous parliez sérieusement lorsque vous disiez que vous vouliez m'épouser? "
La princesse acquiesce en souriant et Wang ajoute d'un air désespéré :
-"Mais où irons-nous habiter? Je n'ai pas d'argent pour acheter une maison! "
La jeune femme claque des doigts et une servante entre et dépose aux pieds de Wang un coffret rempli de pièces en or.
- "Tu devras attendre la prochaine pleine lune pour construire notre maison", lui dit la princesse. "A ce moment, je reviendrai pour célébrer nos noces. Aujourd'hui, je ne puis m'attarder davantage. "
Wang ne peut détacher ses yeux du coffret et des pièces. Il ne voit pas la princesse suivie de sa servante qui quitte la pièce.
Je dois avoir rêvé pense Wang en regardant autour de lui. Non, le coffret contenant les pièces d'or sont toujours devant lui et sa boîte de dominos a disparu.

- "Maman!", crie Wang "Je vais épouser une vraie princesse! "
Le jeune homme raconte à sa mère ce qui lui est arrivé.
- "Mais tu as là un véritable trésor! " dit la veuve en contemplant le coffret. "Jamais je n'ai vu autant d'argent de ma vie. Tu pourras construire une splendide maison. Mais surtout obéit à la princesse : il ne faut pas commencer la maison avant la prochaine pleine lune ! "

Wang est jeune. Il ne sait pas attendre et malgré les bons conseils de sa mère, il se rend en ville dès le lendemain matin et y prend rendez-vous avec le charpentier et le maçon en vue de construire une très belle demeure pour lui-même et pour sa future épouse.
- "J'ai entendu raconter que ton fils va épouser une princesse", marmonne un soir l'usurier à la veuve. "Et où l'a-t-il donc trouvée? "
Mais la veuve, pinçant les lèvres, ne répond pas.
- "Soit, si tu ne veux rien dire, garde-le pour toi", jette Yu, dévoré par la curiosité. "Je me disais bien qu'il y avait quelque chose de louche dans tout cela. C'est comme pour cet argent avec lequel il fait construire cette grande maison. J'ai du mal à croire qu'il l'a gagné honnêtement! "
- "Crois tout ce que tu veux", répond la mère de Wang.
Et, sans plus regarder le vieil homme, elle rentre chez elle.

Le temps passa encore. La construction de la nouvelle maison progresse. Un jour, un jeune voyageur porteur des couleurs impériales arriva en ville.
- "Mon nom est Yang", dit-il après avoir été saluer Wang et sa mère. "J'ai appris que tu es un excellent joueur de dominos et je serais heureux de pouvoir me mesurer avec toi."
Wang accepte l'invitation avec plaisir et se rend plusieurs soirs consécutifs à l'auberge pour jouer aux dominos avec l'étranger. Le cinquième soir, son nouvel ami l'accueille le visage triste :
- "Il me faut m'en aller", dit-il "Comme souvenir, je désire te donner ceci. "
Et le jeune homme tend à Wang une boite en bois de cèdre qui contient une coupe en argent, quelques baguettes en ivoire et une précieuse figurine de jade.

Après le départ de Yang, Wang se sent désemparé. Sa maison est prête et il attend avec impatience l'arrivée de la princesse. Mais le seul nouveau venu dans la ville est un riche seigneur qui, avec sa suite, s'installe à l'auberge que Yang avait précédemment fréquentée.
Le lendemain matin, Wang est réveillé de bonne heure par des éclats de voix : le noble seigneur a été dévalisé de tout ce qu'il possédait.
- "J'ai vu le chef des voleurs", déclare une des voix.
- "C'est Yang, le commandant de la garde impériale", ajouta une autre.
- "Yang! Je le connais bien! ", renchérit le vieux Yu. "Je l'ai vu très souvent en compagnie de mon voisin Wang, celui qui est subitement devenu si riche."
Peu après, le responsable de l'ordre surgit chez Wang pour y effectuer une perquisition. Et, lorsqu'il découvre le cadeau d'adieu de Yang, le malheureux est immédiatement emprisonné et accusé de complicité.
- "Il est impossible que Yang soit un voleur! ", assure Wang lorsque le juge l'interroge. "Il portait les couleurs de l'empereur."
Le juge se trouve bien embêté et ordonne que Wang soit transféré dans la capitale pour y être jugé.
- "Mais vous, si vous l'avez accusé injustement", dit le juge à Yu, qui avait assisté à l'audience d'un air triomphant, "vous serez emprisonné à votre tour. "

Le vieil usurier, soucieux de ne pas courir un tel risque, se hâte d'entrer en contact avec les quatre soldats chargés d'emmener Wang dans la capitale et, pour une poignée de pièces d'argent, ceux-ci lui promettent de tuer le jeune homme durant le trajet.
La route qui conduit à la capitale traverse les montagnes et les ravins escarpés. Le chemin est long et les gardes auront bien l'occasion de faire disparaître le prisonnier. Au moment où ils s'apprêtent à pousser Wang dans un précipice, un énorme tigre surgit. Effrayés par le félin, deux des hommes reculent et tombent dans le ravin, tandis que les autres, sans demander leur reste, prennent leurs jambes à leur cou et s'enfuient !
Wang est tombé lourdement sur le sol. Son front a heurté un rocher. Il reste là, étendu sans connaissance alors le tigre le saisit par la ceinture et l'emporte dans la forêt.

C'est un parfum de glycines en fleurs qui pénètre dans ses narines, qui réveille Wang. Il ouvre les yeux et se trouve dans l'herbe, face à un magnifique palais de porcelaine, couvert de mauves corolles odorantes.
A l'entrée du palais, se tient la jolie princesse. Mais son regard est dur. Wang veut aller vers elle, mais, d'un seul geste, elle lui fait comprendre de ne pas bouger et d'un ton sévère elle lui dit :
- "Wang, tu ne m'as pas écoutée. Je t'avais demandé d'attendre la prochaine lune avant de construire notre maison. Maintenant, le malheur a fondu sur toi. Tu dois te rendre chez le juge, pour lui prouver ton innocence sinon tu ne pourras plus jamais trouver le repos. Par la suite, tu retourneras ensuite à Lu-Lung afin consoler ta pauvre mère qui est malade de chagrin depuis le jour où les soldats t'ont emmené! "
Le jeune homme est anéanti. C'est vrai, il aurait dû attendre la pleine lune... Mais il était tellement impatient de la revoir et voilà qu'il l'a retrouvée et qu'elle le renvoie !
- "Allons", dit-elle, "avant que tu ne partes, je vais te faire don d'un talisman. "
Elle prend une corde qu'elle noue avec soin à la taille de Wang. Et avec douceur, elle ajoute :
- "Les nœuds que j'ai fait dans cette corde sont magiques. En cas de besoin, il te suffit d'en défaire un et tu seras sauvé. Pars vite, maintenant! "
Wang regarde tristement la princesse, désespéré de devoir la quitter. Dans un profond soupir, il s'en va vers la capitale.

Le sentier qu'il prend monte et descend sans cesse. Plusieurs fois, il s'en faut de peu qu'il ne tombe en butant sur une pierre. Des branches lui fouettent le visage et, bientôt, il se met à pleuvoir. Wang poursuit courageusement sa route. La pensée de la jolie princesse lui donne sans cesse de nouvelles forces. Il a déjà parcouru une bonne partie du chemin, lorsqu'il débouche sur un plateau aride et désolé. La pluie ne tombe plus. Derrière les sombres nuages, il peut même apercevoir le soleil, dont les rayons éclairent sans l'égayer ce triste paysage. Seuls quelques arbres tordus rompent, çà et là, cette lugubre monotonie.
Soudain, un nuage de poussière masque l'horizon. Portant la main au-dessus de ses yeux, Wang scrute le lointain. Très rapidement, le nuage se transforme en une armée de cavaliers armés jusqu'aux dents. Leurs armes scintillent sous le soleil. Ils arrivent à toute vitesse dans sa direction... "Que va-t-il m'arriver, maintenant? ", pense Wang tristement. "N'ai-je pas encore subi assez de malheurs? Ces hommes ont sûrement l'intention de m'attaquer. Lorsqu'ils s'apercevront que je ne porte aucun objet de valeur, ils me tueront probablement par dépit! "
Il n'a plus le temps de s'enfuir et puis, où se serait-il caché? Il n'y a rien que du roc et de la pierre.
Bientôt, les cavaliers sont devant lui. Le chef de la troupe s'approche à quelques mètres et Wang observe craintivement sa silhouette impressionnante, fièrement campée sur sa monture et soudain, il le reconnaît :
- "Yang! ", crie-t-il. "Yang, mon ami, est-ce vraiment toi?"
Il lui tend joyeusement la main pour le saluer. Un large sourire aux lèvres, Yang se pencha vers lui.
- "Tu acceptes donc encore de me parler, Wang?", demande-t-il, tout content. "Tu ne refuses pas de serrer la main à un voleur de mon espèce? "
- "Je n'ai jamais pu croire à un pareil mensonge", répond Wang.
- "Alors, laisse-moi te conter comment tout cela est arrivé", dit Yang en serrant fermement la main du jeune homme en signe d'amitié. "Pendant des années, j'ai vécu, à la cour, en tant que commandant de la garde impériale, au sein d'un monde de faste et d'apparat. Mais aussi dans un monde méprisable, comme je l'ai découvert plus tard car la plupart des membres de la cour n'ont pas gagné leur fortune honnêtement.
Pendant qu'ils parlent, les deux amis se tiennent toujours la main afin de se témoigner leur confiance. Puis, Yang descend de sa monture et tous les deux vont s'asseoir à l'écart. Yang poursuit :
- "La richesse dont jouissent ces riches seigneurs, ils l'ont volée aux pauvres gens. Car ils l'ont obtenue en imposant de très lourdes amendes pour de petits délits et en exigeant d'importants fermages. "
Wang acquiesce. Il connaît bien cette histoire... Depuis de longues années, la population vit opprimée à cause des cruelles mesures adoptées par les grands propriétaires terriens. De nombreux abus de cette espèce ont été commis dans les environs du Lu-Lung. Certains paysans, incapables de payer le fermage, envoient même leurs enfants mendier en ville.
- "C'est pourquoi", poursuit Yang, après avoir fait signe à ses hommes de mettre pied à terre pour se reposer un instant, "j'ai décidé que tout cela devait changer. J'ai résolu de quitter la cour et de devenir l'un de ces pauvres. Mais cela ne suffisait pas. J'ai alors réuni autour de moi un groupe d'hommes qui pensaient comme moi. Ensemble, nous avons commencé à voler les riches, répartissant ensuite notre butin entre de misérables paysans. C'est ainsi que je suis devenu un voleur. "
- "Et donc, ce noble, à Lu-Lung...", commença Wang.
Mais son ami l'interrompt aussitôt :
- "Voler ce noble faisait partie de mon projet. Il méritait bien une petite leçon! Car, dans la région d'où il venait, tous les paysans étaient complètement ruinés, tant les taxes qu'il leur imposait étaient élevées. En plus, les terres qu'il leur avait données en fermage étaient totalement incultes. Et, comble de malheur, le peu qu'elles produisaient venait d'être anéanti par les fortes pluies du printemps sans que lui-même veuille tenir compte de cette situation. Même lorsque les paysans lui demandaient un délai, il ne leur montrait aucune pitié! Tu comprends maintenant, pourquoi je lui ai dérobé ses biens? ", demande Yang.
Wang acquiesce sans mot dire et son compagnon poursuivit :
- "La prochaine fois que j'irai à Lu-Lung, ce sera pour Yu, l'usurier. Il est temps qu'il soit puni pour exiger des intérêts abusifs des malheureux qui, désespérés, ont recours à lui ou bien lui demandent de pouvoir différer un remboursement...Mais, toi-même, raconte-moi ce qui t'a conduit dans cette région inhospitalière."
En soupirant, Wang commence à expliquer son histoire :
- "Un serviteur du noble que tu as dépouillé t'a reconnu lorsque vous êtes entrés dans l'auberge, cette nuit-là. Et, l'usurier Yu, qui nous avait souvent vus ensemble, s'est servi de ce prétexte pour me causer une nouvelle fois des ennuis. Il s'était longtemps demandé comment j'avais bien pu obtenir de l'argent pour construire une maison, puisque ma mère et moi-même sommes pauvres, et il a saisi cette chance de me nuire, m'accusant sournoisement de complicité pour ce vol. "
Wang s'arrête quelques instants pour avaler une gorgée du vin de riz que lui tend Yang. Il a la gorge sèche d'avoir tant marché et parlé. Puis, il enchaîne :
- "Le responsable de l'ordre ne croyait pas que j'avais quelque chose à voir dans cette sombre histoire, mais il s'est vu obligé d'effectuer une perquisition chez moi et il a découvert dans ma maison tes beaux cadeaux. C'était la preuve de ma culpabilité et il m'a conduisit devant le juge. Evidemment, je lui ai raconté la vérité. Ce n'étaient que des présents et que je les avais acceptés sans faire la moindre objection, puisque je croyais que tu venais de la cour impériale. N'osant pas trancher, le juge a décidé de m'envoyer dans la capitale pour y être traduit en justice. Cependant, craignant que la lumière ne soit faite sur toute cette affaire, le vieux Yu a soudoyé les soldats chargés de me conduire en ville. Ces pauvres hommes, qui avaient bien besoin d'un peu d'argent supplémentaire, ont promis à l'usurier de se débarrasser de moi en cours de route. Seul le hasard a permis que je sois sauvé de la mort par un tigre, apparu au moment où ils voulaient me tuer. Et ce tigre m'a conduit auprès de la princesse des glycines, qui m'a ordonné de me rendre en ville pour prouver mon innocence. Voilà tout ! " dit Wang.
Et il ajoute piteusement :
- "Je ne l'ai pas écoutée et, maintenant, elle est fâchée contre moi. Ah! J'aurais dû attendre la pleine lune avant de commencer à construire notre maison ... "
Yang a écouté attentivement le récit de son ami :
- "Si je comprends bien", dit-il, "tu es donc en route pour la capitale, où tu seras jugé par le juge suprême. "
Wang boit encore une gorgée de la bouteille de vin de riz pour se donner du courage.
- "C'est bien cela", opine-t-il en se levant pour se remettre en route.
Il tend la main pour prendre congé de Yang, mais celui-ci secoue la tête.
- "Non, mon cher Wang", refuse-t-il paisiblement. "Je ne te laisserai pas partir comme cela. Un ami aussi fidèle que toi a droit à mon aide. Le voyage est encore long jusqu'à la ville et il est semé d'embûches! "
Et c'est ainsi que Wang parcourt le reste du chemin sous la protection des hommes de son ami Yang, qui le suivent à quelque distance.

Peu après, il atteint sans encombre la capitale et va aussitôt se présenter au palais de justice.
- "Je suis Wang et je viens de Lu-Lung", déclare-t-il, une fois mis en présence du juge suprême. "Je suis venu jusqu'à vous pour prouver mon innocence. "
- "Et où sont les soldats qui t'ont conduit ici? ", demanda le juge.
- "Deux d'entre eux ont pris la fuite à la vue d'un tigre", explique Wang. "Et les deux autres sont tombés dans un ravin. "
Comme le juge continue à le regarder d'un air interrogateur, Wang lui raconta toute son histoire.
- "Tu veux me dire que tu es venu sans escorte et de ton plein gré? ", s'exclame le juge, étonné, lorsque Wang termine son récit. "Mais tu aurais pu facilement t'échapper! "
Wang sourit :
- "Je suis innocent", assura-t-il. "Mais il y a des gens qui affirment le contraire. Ils prétendent que je suis complice d'un vol. Et je n'ai nulle envie de passer pour un malhonnête. C'est pourquoi je suis venu jusqu'à vous. Je veux prouver ma bonne foi! "
Tout en parlant ainsi, Wang joue machinalement avec la corde nouée à sa taille. Sans même s'en apercevoir, il défait un des nœuds.
Au même moment, le juge suprême déclara :
- "Même sans preuve, je suis convaincu de ton innocence, Wang. En effet, seul un homme à la conscience bien tranquille se présente de lui-même devant le juge sans y être contraint par la force. "
Il va ensuite chercher un morceau de parchemin et écrit en termes choisis une déclaration attestant de l'innocence du prévenu.
- "Et voilà! Tout est en ordre, Wang", conclut-il en lui serrant la main. "A partir de cet instant, tu es un homme libre. "
Soulagé, Wang quitte le tribunal. A présent, il doit retourner à Lu-Lung pour rassurer sa mère qui l'attend à la maison. Et ensuite... Il ose à peine y penser, de peur que quelque chose tourne de nouveau mal. Mais il espère de tout son coeur qu'il pourra épouser la très jolie princesse des glycines!

Serrant dans sa main la déclaration du juge, Wang entame le pénible voyage de retour. Plus il approche de sa petite ville natale, plus il marche allègrement. Il lui semble que toute fatigue l'abandonne ! Déjà, il aperçoit les premières maisons de Lu-Lung. Au milieu de celles-ci, se trouve celle de sa mère. A cette pensée, il se met à courir à perdre haleine, tant il a hâte de rentrer chez lui!
- "Maman! ", crie-t-il en se précipitant dans l'humble demeure. " Je suis là! "
La pauvre veuve a beaucoup maigri depuis le départ de son cher fils. Ses yeux sombres brillent fiévreusement dans sa figure pâle et ses mains tremblent. Mais, lorsqu'elle voit entrer Wang sain et sauf, un sourire rayonnant apparaît sur son visage aux traits fatigués et elle tend les bras pour accueillir son enfant bien-aimé.
Puis, les premières effusions passées la veuve lui pose mille et une questions, auxquelles Wang répond patiemment, jusqu'à ce que l'heure de se coucher arrive. La mère et le fils se souhaitent tendrement le bonsoir.

Mais, non loin de là, quelqu'un va, au contraire, passer une nuit fort agitée. C'est l'usurier Yu, brutalement tiré de son sommeil par une voix mystérieuse, qui lui dit :
- "Donne-moi les clés de ton coffre. Et pas un mot si tu tiens à la vie! "
Tremblant de tous ses membres, le vieillard remet le trousseau à Yang - car c'est lui qui a pénétré chez l'usurier avec ses hommes -et, quelques instants plus tard, Yu regarde d'un air furieux son coffre- fort complètement vide...
Pendant ce temps, Wang dort paisiblement. Lorsqu'il se réveille, il aperçoit sa mère qui le contemple, un étrange sourire sur les lèvres.
- "Il y a de la visite pour toi", annonce-t-elle.
Au même moment, le jeune homme sent le parfum qu'il attendait tant, le doux parfum de glycine...
Peu de temps après, les noces de Wang et de sa jolie princesse sont célébrées dans l'allégresse.

Le temps passe.

De cette heureuse union, naissent rapidement deux charmants enfants, qui ont les yeux mauves comme ceux de leur mère. Wang ne est tellement heureux qu'il ne peut imaginer qu'un tel bonheur soit possible Et par soir d'hiver, un triste soir d'hiver, le jeune homme, en revenant de son travail, voit sa femme qui l'attend sur le seuil de leur maison. Elle a revêtu le kimono qu'elle portait lors de leur première rencontre et qu'elle n'avait plus jamais remis depuis.
Wang se doute une tragique certitude que quelque chose d'horrible, de grave, d'irréparable va se produire. Quelque chose d'inévitable qui va bouleverser sa vie...
- "Nul bonheur ne peut jamais durer éternellement", dit la princesse, sans lui laisser le temps de parler. "Ma vie sur la Terre est terminée. Je suis obligée de te quitter, mais je ne t'oublierai pas. "
L'instant d'après, elle disparaît emportant avec elle les enfants.
- "Non! ", hurle Wang.
Mais aucun son ne sort de sa bouche. Les larmes aux yeux, il regarde autour de lui. Et, soudain, par un miracle inexplicable et malgré le froid de l'hiver, partout, des glycines se mettent à fleurir. Les lourdes grappes sont du même mauve que les yeux de sa femme et de ses enfants... Et lorsqu'il pénètre dans sa maison, il découvre avec bonheur que le plafond de la véranda, lui aussi, est paré d'un somptueux manteau odorant!
Wang malgré son immense chagrin sent que sa princesse tant aimée et ses chers enfants ne l'ont pas vraiment quitté, et que leur esprit et leur coeur demeurent à ses côtés. Et, dans chaque corolle, il voit briller leur tendre regard mauve, qui le suit et veille sur lui. Et il en est un peu consolé !

Conte chinois

La princesse des glycines

Un jour un coq et un canard allèrent se promener au bord du fleuve. Tout en marchant, le coq se vantait de sa beauté. Il se moquait du canard :

- Avec tes pattes qui ressemblent à des feuilles d’arbre et ta démarche dandinante, ah ! ridicule !

Le canard répondait :

- Tu as une paire d’ailes magnifiques ! Avec elles, tu peux voler et haut !

Le coq ne voulait pas avouer sa faiblesse. Il prit son élan, afin d’atteindre l’autre rive du fleuve, et de montrer ainsi ses capacités. Au beau milieu du fleuve, il tomba. Comme il ne savait pas nager, il sombra, coula, criant :

- Au secours !

Le canard vint à sa rescousse. Alors, il lui dit :

- C’est grâce à ces vilaines pattes que je t’ai sauvé.

Le coq resta coi, rougit de honte. Depuis lors, les coqs n’osent plus se vanter, et ont la crête rouge.

Conte chinois

Le coq et le canard

Avez-vous déjà entendu parler du palais de Brocart ? Mais si, bien sûr, c'est le palais des deux fées célestes qui tissent tout le long du jour, les nuages, pour l'empereur du Ciel. Vous vous tromperiez bien si vous les croyiez heureuses de leur sort car les deux fées s'ennuient à mourir dans leur palais. Un jour d'ailleurs, elles se sont sauvées. Écoutez plutôt...

Ce jour-là, c'était l'anniversaire de l'empereur du Ciel et tous ses serviteurs étaient occupés aux préparatifs d'un grand festin. Les employés célestes s'amusaient dans les salles impériales et la garde de la porte du Sud, celle par laquelle on descend sur la terre, buvait joyeusement à la santé de l'empereur et sombrait peu à peu dans une somnolence béate. Les deux fées célestes étaient restées seules.

Dans leur merveilleux palais, elles s'ennuyaient de vivre constamment dans la béatitude, de boire tous les jours du nectar et de tisser tous les jours un nuage en forme d'enclume et sept nuages blancs moutonneux. Leurs jours se ressemblaient comme un neuf ressemble à un autre neuf et nos deux fées s'ennuyaient, s'ennuyaient à mourir.

« Tu sais, petite sœur, » soupirait la plus jeune, « je préférerais m'en aller et descendre sur la terre plutôt que de continuer à m'ennuyer ici. Les hommes ne connaissent pas leur bonheur ! Tant de travail, et toujours du nouveau, ça me plairait tellement ! »

« A moi aussi, » continua l'aînée, « et si tu voyais leurs montagnes et leurs rivières qui serpentent ! Que c'est beau ! Rien de pareil dans ce palais ennuyeux. Et si nous nous sauvions ? »

Le chemin n'est pas long de la pensée à l'acte. Les deux fées célestes se mirent en route et, sur la pointe des pieds, tout doux, tout doux, elles se faufilèrent jusqu'à la porte du Sud qui conduisait à la terre. Les gardes dormaient profondément. Les deux jeunes filles se glissèrent dehors furtivement.

« Maintenant, petite sœur, » proposa la cadette, « nous allons nous séparer. Tu iras vers le Sud, et moi vers le Nord. Et lorsque nous aurons trouvé un être en détresse, nous resterons pour l'aider. »

Ainsi se séparèrent les deux fées. Et tout se passa comme l'avait dit la plus jeune. Toutes deux rencontrèrent deux vieilles femmes solitaires et usées et restèrent à les aider. Bientôt, elles perdirent leur teint transparent et devinrent toutes roses. Elles se plaisaient beaucoup sur la terre. Jamais plus elles ne pensaient au ciel.

Mais rien n'est éternel, hélas. Cent ans avaient passé sur la terre, cent ans, ce qui fait exactement sept jours au ciel. Les festivités avaient pris fin et l'empereur Céleste commença à chercher les deux jeunes filles. Mais en vain, elles étaient introuvables. « Où sont-elles donc passées, » gronda l'empereur. «Voilà un moment qu'il n'a pas plu et j'aurais besoin qu'on me tisse au plus vite un nuage d'orage. » Et l'empereur fit chercher les deux fées. Les serviteurs revinrent bientôt pour lui apprendre que la porte du Sud était ouverte et que les deux jeunes filles s'étaient probablement sauvées.

C'est un comble ! » s'écria l'empereur. «Qu'on me les ramène au plus vite ! Sinon, j'enverrai sur la terre une sécheresse abominable ! »

Alors les messagers célestes descendirent sur la terre à la recherche des deux fées. Ils les trouvèrent enfin. Mais les jeunes filles ne voulaient pas rentrer. Pourtant, il fallut bien se rendre ! Pouvait-on désobéir à un ordre de l'empereur du Ciel ? Tête baissée, les yeux pleins de larmes, les deux fées reprirent le chemin du ciel.

En arrivant devant la porte du Sud, la plus jeune dit :
«Petite sœur, je crois que je mourrai de regret si je ne peux plus regarder le monde en bas ! »

L'aînée hocha la tête en soupirant, puis elle dit :
«J'ai une idée. Jetons nos miroirs. Ainsi, quand nous regarderons en bas, nous y verrons se refléter le monde entier. »

Alors les deux jeunes filles sortirent leurs miroirs de leurs larges manches et les jetèrent en bas. Les miroirs descendirent en scintillant, ils tournoyèrent un instant avec de petits sifflements et tombèrent sur la terre où ils se transformèrent en deux lacs enchantés dont les eaux limpides reflétaient les montagnes, les forêts, les collines et les hommes. Et savez-vous où sont ces deux lacs ? L'un est en Chine, c'est le Grand Lac Occidental, et l'autre au Vietnam, à Hanoi.

Conte chinois

Le miroir des fées célestes

Il y a longtemps, en haut de le Montagne aux Mille Fleurs, il y avait un rocher magique, qui se cassa un jour et donna naissance à un oeuf de pierre. Et de l'oeuf sortit le Singe de Pierre, qui alla vivre avec les autres singes.

Un jour, les singes trouvèrent une cascade, et aucun d'entre eux n'eut le courage de passer derrière pour explorer, sauf le Singe de Pierre. Et il y trouva un pays merveilleux. Les singes vinrent y vivre et nommèrent le Singe de Pierre roi des singes, par reconnaissance. mais un jour, il s'inquiéta de la mort, et décida de partir en quête de l'immortalité.

Il voyagea pendant dix ans, et finit par arriver en radeau sur un rivage où vivait un sage qui connaissait le secret de l'immortalité, et il se fit accepter comme disciple du patriarche Sudobhi, qui lui donna le nom de Sun Wu-k'ung, le singe qui comprend la vacuité. Grâce à sa très grande intelligence, il apprit rapidement les secrets de Sudobhi, les soixante-douze transformations, et comment voler dans les airs sur les nuages, et enfin le secret de l'immortalité. Mais le singe se vantait de son savoir auprès des autres disciples, et un jour Sudobhi le chassa et lui interdit de faire savoir qu'il était son disciple.

Le singe s'en moquait bien. Il rentra chez lui sur un nuage et fit savoir à son peuple qu'il avait réussi. Puis il se rendit compte qu'il commençait à devenir vraiment puissant et commença à se préparer à la guerre, au cas où. Il alla voler des armes, mais si son peuple apprit à s'en servir, aucune ne lui convenait. Il décida d'aller prendre une arme magique au dragon qui vivait au fond du lac, et prit d'autorité un baton magique qui avait servi à niveler le fond de la mer et changeait de taille a volonté, et une armure complète. Le roi des dragons fut furieux et envoya une plainte au ciel.

Sun Wu-k'ung devint ami avec les chefs des démons et ils firent serment de fraternité. Mais un jour, il se réveilla dans le royaume de la mort. Il se plaint, disant qu'il était immortel et qu'il ne devrait pas être là. Comme on refusait de le laisser repartir en prétextant qu'on avait du confondre avec quelqu'un qui portait le même nom et qu'il fallait attendre le Roi de la Mort, il menaça les bureaucrates du royaume des morts et les força à le rayer de la liste des morts ainsi que tous ceux qui avaient un nom qui lui ressemblait, puis il retourna sur terre.

Le dirigeant du Ciel, l'empereur de Jade, reçut un jour les plaintes du roi des dragons et du roi de la mort concernant le roi des Singes, et il se facha. Mais l'un de ses serviteurs, l'Astre de la longévité, lui proposa plutôt de donner au roi des singes un poste mineur au ciel, afin de le calmer, de l'occuper et d'éviter une guerre. C'est ainsi que Sun Wu-k'ung reçut et accepta le titre de palefrenier céleste, qu'il pensait être très honorifique. Mais un jour, il apprit comme ce poste était bas et se révolta contre l'empereur de Jade. Et il demanda le titre de Grand Sage, l'Égal du Ciel.

L'empereur de jade, vraiment furieux cette fois, envoya contre lui le Céleste roi Li et son fils Natha. Et Li envoya son général, l'Esprit des Eclaircissements, mais le singe le vainquit sans peine, lui et toute son armée. Puis Natha y alla en personne, mais le singe le vainquit lui aussi, grâce à son bâton et à ses pouvoirs de transformation.

Ce fut encore l'Astre de la Longévité qui proposa un arrangement à l'amiable, c'est à dire créer un titre officiel de Grand Sage, Égal du Ciel, sans salaire mais sans obligations, pour faire plaisir au singe. Ce qui fut fait. Sun Wu-k'ung était très fier. Pour qu'il ne s'ennuie pas, on lui proposa de s'occuper des pêches de l'empereur de Jade, mais il les mangeait en cachette.

Un jour, la reine du Ciel voulut organiser un banquet de pêches, mais elle n'invita pas Sun Wu-k'ung. Il l'apprit alors qu'on venait chercher les pêches dans le verger et se mit en colère. Alors il entra en plein milieu du banquet sous une fausse identité, but une grande partie du vin et vola le reste, et, ivre, se goinfra d'elixir d'immortalité. Puis il se rendit compte de ce qu'il avait fait et que l'empereur de jade n'allait pas jtre content... Alors il rentra chez lui.

Cette fois-ci c'était la guerre, et les armées de l'empereur de Jade se battirent contre une horde de guerriers que le singe avait créés par magie, mais ne purent rien contre Sun Wu-k'ung lui-même. Alors Kuan-yin, déesse de la compassion, suggéra d'aller chercher Erh-lang le dieu de la vérité, pour combattre le roi des singes en combat singulier. Ehr-Lang était lui aussi maître des transformations, et il réussit à capturer le singe avec l'aide de Li, Natha, Kuan-yin, et du patriarche de la Voie.

Ils essayhrent de sissoudre le singe dans un four, mais comme il avait appris l'immortalité, rayé son nom de la lliste des morts et bu l'elixir d'immortalité, cela ne lui faisait pas grand-chose... Quand ils ouvrirent la porte, le croyant mort, il s'enfuit à nouveau, et cette fois-ci, Ehr-lang ne put le rattraper. Il fallut aller chercher Bouddha lui-même, qui emprisonna Sun Wu-k'ung sous la montagne des cinq éléments...

Conte chinois

Le roi des singes

Dans l’Antiquité, il y avait à l’Est de la cune grotte où habitait un Dragon de jade couleur d’argent, et à l’Ouest un bois touffu dans lequel se cachait un Phoenix d’or multicolore.

Ces deux voisins se rencontraient tous les matins à la sortie de leur maison. Un jour, l’un d’eux nageant dans l’eau, l’autre volant dans le ciel, ils arrivèrent sans s’en apercevoir à une île féerique. Par hasard, ils y découvrirent une pierre éblouissante. Le Phoenix d’or, très surpris, poussa un cri d’admiration :

- Comme elle est jolie !

Et le Dragon de jade, tout ravi, proposa à son ami :

- Tu veux qu’on la travaille en forme de perle ?

Ce dernier fut d’accord et ils se mirent à l’oeuvre. Le Dragon se servit de ses pattes et le Phoenix de son bec. Jour après jour, année après année, ils travaillèrent, et ce fut ainsi que peu à peu une perle brillante prit forme.

Le Phoenix puisa dans les monts féeriques de la rosée qu’il versa sur la perle ; le Dragon alla chercher de l’eau claire dans la Voie lactée et en arrosa le trésor ; peu à peu elle se mit à jeter des étincelles.

Depuis, le Dragon de jade et le Phoenix devinrent de bons amis, car une même passion pour la perle les unissait. N’ayant plus envie de retourner chez eux, ils décidèrent de s’installer sur l’île pour bien garder leur trésor jour et nuit.

C’était vraiment une perle précieuse. Dans tous les endroits touchés par les feux qu’elle jetait tout devenait verdoyant, les fleurs s’épanouissaient, les paysages devenaient lumineux et pittoresques et la moisson était abondante.

Un jour, la Reine Mère d’Occident, en se promenant hors de son Palais aperçut par hasard cette perle, et aussitôt la voilà fascinée. A la faveur de la nuit, elle fit voler ce trésor pendant que le Dragon et le Phoenix dormaient, puis elle cacha la perle au fond d’un Palais fabuleux, protégée par neuf portes à neuf serrures.

Le lendemain matin, à leur réveil, les deux animaux, ne trouvant plus leur trésor, furent très inquiets. Le Dragon de jade parcourut toutes les grottes sous la Voie lactée, et le Phoenix d’or fouilla en détail tous les coins du mont fantastique, mais sans arriver à la retrouver. Comme ils étaient tristes ! Désormais, ils passèrent leurs jours et leurs nuits à chercher leur trésor perdu.

Ce jour-là, pour fêterl’anniversaire de la Reine Mère d’Occident, tous les immortels du ciel se rassemblèrent au Palais fantastique de la Reine Mère où elle allait offrir un "banquet de pêches d’immortalité". Objets de multiples souhaits de longévité et de bonheur éternel, la Reine Mère ne se sentit plus de joie. Soudain lui vint l’idée d’exhiber son trésor devant les immortels :

- Mes chers invités, dit-elle, je vais vous montrer une perle précieuse, un objet unique au monde !

Ce disant, elle détacha de sa ceinture les neuf clés, fit ouvrir les neuf portes du Palais, et en sortit la perle sur un plateau d’or, toute éblouissante. Les immortels présents se répandirent en louanges.

Tandis que les invités firent la fête, le Dragon de jade et son ami le Phoenix d’or continuaient à chercher leur perle. Attiré par les étincelles, le Phoenix appela le Dragon :

- Tiens, n’aperçois-tu pas les feux de notre trésor ?

La tête sortie de la rivière céleste, le Dragon de jade répondit :

- Mais oui, c’est bien lui. Allons le récupérer !

En suivant la lumière jetée par la perle, ils parvinrent jusqu’au Palais de la Reine Mère d’Occident, au moment où les immortels étaient penchés pour admirer la merveille. Le Dragon de jade se lança en avant en criant :

- Cette perle nous appartient ! le Phoenix d’or lui fit écho.

A ces mots, la Reine Mère se mit en colère :

- Taisez-vous, je suis la mère de l’Empereur Céleste de Jade, tous les trésors du ciel m’appartiennent !

Très indignés, le Dragon et le Phoenix crièrent ensemble :

- Cette perle n’est pas un produit naturel du ciel ni de la terre, elle est le fruit de notre travail de plusieurs années.

La Reine mère, saisie de fureur et de honte, protégea de la main le plateau d’or et ordonna aux généraux célestes de les chasser tout de suite du Palais.

Alors, le Dragon et le Phoenix se précipitèrent vers la perle, si bien que le plateau fut saisi par trois paires de mains qu’aucune ne voulait lâcher. C’est alors que le plateau qu’ils se disputaient perdit l’équilibre et que la perle roula jusqu’aux limites du ciel, puis tomba vers la terre.

Le Dragon de jade s’élança en l’air et suivit la perle de peur qu’elle ne se casse. Les deux amis, l’un volant, l’autre dansant en l’air, protégèrent tantôt à gauche, tantôt à droite leur trésor jusqu’à ce qu’il soit tombé doucement sur la terre. Quand elle atteignit la terre, la perle se métamorphosa aussitôt en un lac limpide, qu’on appelle le lac de l’Ouest.

Trop amoureux de la perle pour la quitter, le Dragon de jade se changea en un mont majestueux et le Phoenix d’or, en une colline verte, qui la dominent, pour la protéger.

Dès lors, le mont du Dragon est toujours resté avec son ami la colline Verte du Phoenix aux abords du lac de l’Ouest.

C’est pourquoi les gens de la région chantent encore :

Le Lac de l’Ouest est une perle tombée du ciel,

Accompagnée par le Dragon et le Phoenix jusqu’à la rivière Qiantang.

Conte chinois

Une perle

Il y a fort longtemps vivaient en Chine deux frères.
Wang-l'aîné était le plus fort et brimait sans cesse son cadet. A la mort de leur père, les choses ne s'arrangèrent pas et la vie devint intenable pour Wang-cadet. Wang-l'aîné accapara tout l'héritage du père : la belle maison, le buffle, et tout le bien. Wang-cadet n'eut rien du tout et la misère s'installa bientôt dans sa maison.
Un jour, il ne lui resta même plus un seul grain de riz. Il ne pourrait pas manger, alors, il se résolut à aller chez son frère dut aller chez son frère aîné.
Arrivé sur place, il le salua et dit en ces termes :
-Frère aîné, prête-moi un peu de riz.
Mais son frère, qui était très avare, refusa tout net de l'aider et le cadet reparti.

Ne sachant que faire, Wang-cadet s'en alla pêcher au bord de la mer Jaune. La chance n'était pas avec lui car il ne parvint même pas à attraper un seul poisson.
Il rentrait chez lui les mains vides, la tête basse, le cœur lourd quand soudain, il aperçut une meule au milieu de la route.
" Ça pourra toujours servir!" , pensa-t-il en ramassant la meule, et il la rapporta à la maison.
Dès qu'elle l'aperçut, sa femme lui demanda :
-As-tu fait bonne pêche ? Rapportes-tu beaucoup de poisson ?
-Non, femme! Il n'y a pas de poisson. Je t'ai apporté une meule.
-Ah, Wang-cadet, tu sais bien que nous n'avons rien à moudre: il ne reste pas un seul grain à la maison.
Wang-cadet posa la meule par terre et, de dépit, lui donna un coup de pied. La meule se mit à tourner, à tourner et à moudre. Et il en sortait du sel, des quantité de sel. Elle tournait de plus en plus vite et il en sortait de plus en plus de sel. Wang-cadet et sa femme étaient tout contents de cette aubaine mais la meule tournait, tournait et le tas de sel grandissait, grandissait.

Wang-cadet commençait à avoir peur et se demandait comment il pourrait bien arrêter la meule. Il pensait, réfléchissait, calculait, il ne trouvait aucun moyen. Soudain, il eut enfin l'idée de la retourner, et elle s'arrêta.

A partir de ce jour, chaque fois qu'il manquait quelque chose dans la maison, Wang-cadet poussait la meule du pied et obtenait du sel qu'il échangeait avec ses voisins contre ce qui lui était nécessaire. Ils vécurent ainsi à l'abri du besoin, lui et sa femme.

Mais le frère aîné apprit bien vite comment son cadet avait trouvé le bonheur et il fut assailli par l'envie. Il vint voir son frère et dit :
-Frère-cadet, prête-moi donc ta meule.
Le frère cadet aurait préféré garder sa trouvaille pour lui, mais il avait un profond respect pour son frère aîné et il n'osa pas refuser.

Wang-l'aîné était tellement pressé d'emporter la meule que Wang-cadet n'eut pas le temps de lui expliquer comment il fallait faire pour l'arrêter. Lorsqu'il voulut lui parler, ce dernier était déjà loin, emportant l'objet de sa convoitise

Il était très heureux, le frère aîné. Il rapporta la meule chez lui et la poussa du pied. La meule se mit à tourner et à moudre du sel. Elle moulut sans relâche, de plus en plus vite. Le tas de sel grandissait, grandissait sans cesse. Il atteignit bien vite le toit de la maison. Les murs craquèrent. La maison allait s'écrouler.

Wang-l'aîné prit peur. Il ne savait pas comment arrêter la meule. Il eut l'idée de la faire rouler hors de la maison, qui était sur une colline. La meule dévala la pente, roula jusque dans la mer et disparut dans les flots.

Depuis ce temps-là, elle continue à tourner au fond de la mer et à moudre du sel. Personne n'est allé la retourner.

Et voilà pourquoi l'eau de la mer est salée.

Conte chinois

Voilà pourquoi l'eau de la mer est salée

L'artisan Kong Shu était en train de sculpter un phénix. Il avait à peine ébauché l'aigrette et les pattes et n'avait pas encore ciselé le plumage.

 

Quelqu'un dit en regardant le travail : "Cela ressemble à un hibou."

 

Et un autre: "Ca rappelle plutôt un pélican."

 

Ils rirent et s'accordèrent pour trouver cette sculpture affreuse et l'auteur sans talent.

Lorsqu'il fut terminé, le phénix avait une superbe aigrette émeraude qui se dressait, vaporeuse, au-dessus de sa tête. Ses pattes vermillons avaient des reflets éblouissants, ses plumes chatoyantes semblaient faites du brocart que tissent les nuages au coucher du soleil et sa gorge était couleur de feu.

 

Un coup de pouce sur un ressort caché fit s'envoler avec un battement d'ailes l'oiseau mécanique et, trois jours durant, on le vit monter et descendre à travers les nuages.

 

Tous ceux qui avaient critiqué Kong Shu ne tarissaient plus d'éloges sur son œuvre merveilleuse et son talent prodigieux.

 

 

(Extrait de "Fables de la Chine Antique" de Feng Xuefeng)

Le phénix sculpté

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