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Contes africains

Contes d'Afrique

En Afrique, les contes font partie d'une longue tradition orale. Dits par de talentueux orateurs, souvent à la nuit tombée...

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Zèbres dans la nature

Banta était le chasseur le plus redoutable de la savane. Tout animal qui passait à portée de sa lance pouvait se considérer comme mort, dépouillé et rôti. Banta faisait de l’ancienne croyance selon laquelle l’homme qui tue une femelle gravide ou accompagnée de son petit périra lui-même sans descendance. Au demeurant, Banta était père de trois beaux enfants.


Chaque soir, il rentrait chez lui chargé de gibier, portant autour de son cou des renards et des écureuils, dans les sacs attachés à sa ceinture des lièvres et des pigeons, et tirant par les pieds un zèbre ou une antilope. Il tuait plus que lui et les siens ne pouvaient manger par goût du sang et du meurtre, pour le seul plaisir de tuer. Banta aimait aussi à se vanter et nul ne pouvait le faire taire lorsqu’il se lançait dans le récit de ses carnages.

Aujourd’hui, les animaux de la brousse se réunissent sous un manguier pour tenir conseil. Il est temps de réagir et de mettre hors d’état de nuire cet exterminateur avant que tous ne succombent, frappés par sa lance ou étranglés par ses collets. Mais qui osera affronter Banta le chasseur ? Le lion baisse la tête, très intéressé tout à coup par une fourmi qui passe entre ses pattes. Le rhinocéros a justement à faire ailleurs, un rendez-vous de la plus haute importance pour sa carrière de rhinocéros et l’éléphant se sent bien faible. Il n’est pas le seul malade.
- Moi aussi j’ai dû attraper froid, dit le serpent.
Quant au charognard, il aura sans doute mangé de la viande trop fraîche.


En somme, nul n’est assez fou pour défier Banta le chasseur. Le carnage va continuer. Le sang des animaux de la savane coulera jusqu’à la dernière goutte.

C’est alors qu’une toute petite tortue se porte volontaire. Elle demande seulement aux autres animaux de rester cachés le lendemain, de ne quitter sous aucun prétexte leurs gîtes, leurs terriers, leurs tanières.


Banta bat les buissons avec un bâton, il soulève chaque pierre, puis il renverse la tête et fixe éperdument le ciel vide. Jamais la savane n’avait été si calme. En vain cherche-t-il des empreintes dans le sable ou la poussière. Pas un souffle de vie, pas un bruit d’aile.
Pas un crocodile dans les marigots. Le soir venu, bredouille pour la première fois, Banta se résigne à prendre le chemin du retour, le cœur empli de colère et d’amertume. Il n’a pas rêvé. Il a bien entendu les notes claires d’une kora, d’abord ; puis un chant mélodieux semble provenir de ce bouquet de hautes herbes. Intrigué, Banta s’approche prudemment : c’est une toute petite tortue qui chante en pinçant avec allégresse les cordes de son instrument. Voilà qui amusera mes enfants , se dit Banta, et fera peut-être oublier l’insuccès de ma chasse. Et il fourre la tortue dans un sac.
- Tu ne ramènes donc pas de gibier ? S’écrie son fils en le voyant entrer dans la cour de la concession.
- J’ai mieux, répond Banta. Grâce à ma ruse et à mon adresse, j’ai capturé une tortue qui chante. Écoutez-la.
Et devant la famille et les voisins réunis, la tortue docilement se met à jouer de son instrument et à chanter.

 

Banta reçoit les applaudissements comme s’ils lui étaient adressés.
- Je tiens avec cette tortue une belle occasion de briller devant le roi, pense-t-il.
Le lendemain, il se présente au palais et demande audience.
- J’ai dressé cette petite tortue à chanter pour vous, noble roi.
- Reviens ce soir. Elle chantera devant la cour.
Et voici la cour rassemblée. Banta tient dans ses mains la tortue prodigieuse. Avec un
sourire de triomphe, il l’installe sur un tabouret et pose sa kora devant elle.
- Vas-y, chante.
Mais la tortue reste muette.
- Chante, allez !
Mais la tortue reste muette.
- Chante, allez !
Mais la tortue lentement rétracte sa tête et ses pattes dans sa carapace. « Honte sur Benta ! » crache le roi qui n’apprécie guère que l’on se moque de lui. Il ordonne l’exécution du fanfaron. Une potence est dressée sur-le-champ.

Voici Banta à son tour pris au collet. Il suffoque et se débat, mais inexorablement, il meurt. Et comme une ultime convulsion tord son corps supplicié, dans le silence funèbre, une kora soudain égrène quelques notes cristallines. Puis, une petite voix entonne un chant étrange et gai, tandis que Banta grimaçant rend son dernier soupir.
 

conte du Mali

Le lion n'était pas le roi des animaux. Du moins, il ne l'était pas au départ. C'était plutôt Dankélé, un grand buffe noir de la savane, qui régnait sur le peuple des bêtes.
Le roi Dankélé était un grand tyran, un roi qui gouvernait sans foi ni loi. Que tu aies raison, tu avais peur. Que tu n’aies pas raison, tu avais raison d’avoir peur devant lui. A cette époque, il y avait une seule rivière à laquelle tous les animaux
venaient boire, mais personne n’avait le droit de boire avant Dankélé. Et Dankélé ne se contentait pas seulement de se
désaltérer, il se baignait dans la rivière, s'y roulait et y faisait tous ses besoins. C'est après que les autres pouvaient boire à leur tour l'eau déjà souillée. C'était injuste, mais c'était comme ça. Il fallait le supporter.

Mais la lionne mère, ce jour-là, ne put attendre l’arrivée du roi. Son lionceau qui venait d’arriver au monde, allait mourir de soif. Elle lui donna un peu d’eau. Elle en but un tout petit peu, elle-même. Arriva le roi Dankélé. Il était accompagné des membres de sa cour, des griots et des griottes qui chantaient ses louanges :
«Ô ! Grand buffe !... 
Tu es plus grand que Soundjata le grand... Plus grand que Da Monzon le grand... Plus grand qu’Alexandre le grand ! »

Mais le roi Dankélé, quand il fut au bord de la rivière, vit qu’on avait osé boire avant lui, le roi. Il se tourna vers son peuple et, les menaçant de son regard, hurla sa colère. Et sa colère faisait trembler tout le monde :
- Qui est-ce… Mais qui est-ce qui a donc osé boire avant moi le roi ? Si vous ne me désignez pas le coupable, vous l’êtes tous !
Les animaux, terrifiés, se regardèrent dans les yeux. Tout le monde avait vu la lionne donner à boire à son petit. Mais qui pouvait prendre la responsabilité de la dénoncer à cette brute de roi ? L’hyène le fit :
- Moi, je ne vais pas payer pour une faute que je n'ai pas commise. C'est la lionne qui a bu avant toi. Voilà, j'ai dit.

Et aussitôt d'un bond, le roi Dankélé écrasa la lionne avec ses grosses pattes. Mais le lionceau n’était pas mort. Il s’était sauvé à toutes pattes et était allé se cacher. Il attendit, attendit jusqu'à ce qu’il soit devenu grand. Quand il fut devenu un grand lion dont le rugissement retentissait à travers toute la savane, il sortit et dit au buffle :
- Buffle, où est partie ma mère ?
Le buffle, intimidé par la force que dégageait le lion, bafouilla :
- Ta... ta... ta mère la lionne ?
Un conseiller lui souffla à l’oreille :
- Il s’agit de la lionne que tu as tuée il y a de cela quelques années parce qu’elle avait osé boire avant toi.
- Ah oui ! C’est vrai, dit le buffle en se tournant vers le lion. C’est la loi, ce n’est pas moi. La loi, c’est la loi. Ta maman a osé boire avant moi, alors la loi lui a été appliquée. La loi, c’est la loi, la loi ce n’est pas moi
- La loi qui ne s’applique qu’au plus faible est une loi injuste.
Et le lion se jeta sur le buffle, le terrassa et libéra le peuple des animaux.
C’est depuis ce jour qu’il est le roi des animaux. C’est aussi depuis ce jour qu’il s’efforce d’être juste et droit, car malgré sa force, il ne s'attaque jamais aux plus petits.

conte du Mali

Il était une fois une jolie femme, si jolie, oh ! si jolie qu'elle ne semblait pas un être humain.

Un roi la vit et dit :
- Cette femme-là, il faut que je l'épouse !
Il partit la trouver, s'occupa de tout et l'épousa ; il l'amena dans sa demeure. Or, il se trouvait que cette femme n'était pas un être humain, c'était une ânesse ! Chaque jour, au bout d'un certain temps, elle disait qu'elle allait uriner, ou encore qu'elle allait se promener. Or, chaque fois, elle se transformait, car ses congénères les ânes l'appelaient derrière le village.
Elle répéta cela, le répéta, le répéta jusqu'à ce qu'un jour elle demanda de partir en un lieu plus éloigné, prétextant qu'elle allait voir ses parents. Le roi la laissa partir. Elle allait en réalité voir les ânes de la brousse. Elle partit rejoindre les ânes et se transforma ; elle y resta en train de braire.
Un Maure la vit. Il la suivit et alla se cacher derrière un arbre jusqu'à ce qu'elle commence à braire. Alors le Maure se faufila furtivement et revint à la maison. Il dit :
- Oh, Roi, je jure, aujourd'hui je vais te dire une chose, et si ce n'est pas vrai tu pourras me tuer !
Le roi lui dit :
-Ah Naar, moi, le menteur je le tue !
Le Maure lui répondit :
- Je jure ! Bour, ce que je dis est vrai, je le jure ! Ta femme-là, qui est si belle, si belle, belle, tu comprends, c'est une ânesse, ce n'est pas une personne.
- Ah oui ? dit le roi.
- Oui !
- C'est bien ! dit le roi.
Le Maure dit alors :
- Si elle te demande encore la permission, fais-moi accompagner par quelqu'un, ou toi même, suis-moi.
Un autre jour, la femme s'adressa encore au roi. Elle lui demanda la permission de sortir.
- D'accord, lui dit le roi.
Le Maure, accompagné d'un soldat, suivit la femme, la suivit jusque dans la brousse. Elle se transforma, rentra parmi les ânes ; ils commencèrent à braire. Aussitôt, les deux hommes s'en retournèrent chez le roi.
Le soldat s'exclama :
- Oh Roi, par Dieu ! Ce que le Maure a dit, c'est la vérité, je jure que c'est vrai !
- C'est bien, je verrai cela moi-même, répondit le roi.
Il en fut ainsi. Lorsque la femme était dans sa demeure, ses semblables les ânes chantaient dehors et dès qu'elle les entendait, elle disait qu'elle voulait sortir. Quand on eut découvert ses manières d'agir, le roi se dit :
- Je verrai cela moi-même.
Un jour, alors que le roi était assis à côté de sa femme, les ânes au dehors commencèrent à chanter :
"Fari Dangan Dangani …
N'habite-t-elle pas par là ?
Dis, Fari toi.
Fari la reine des ânes est allée vivre ailleurs.
Elle refuse de revenir."

Le corps de la reine commença à se transformer, tout son corps. Brusquement, elle se métamorphosa en ânesse, au beau milieu de la cour. Le roi prit son fusil et tira sur elle : elle s'écroula.

Puis, il fit appeler le Maure et le soldat pour les récompenser.
C'est là que le conte alla tomber dans la mer.

conte du Sénégal

La vie devenait de plus en plus dure dans le pays des singes, les golos.
Depuis longtemps, il n'avait pas plu et il n y avait plus d'épis de mil ou de maïs à voler dans les champs ; les
melons et pastèques ne poussaient plus ; même les racines de nénuphar avaient disparu du lit séché des
marigots. C'était la sécheresse, c’était la famine.
Le chef réunit son peuple pour trouver une solution et sortir de cette crise. Il promit d'aller lui même repérer un autre pays où son peuple pourrait trouver à manger et à boire.
Le lendemain, avant le lever du jour, il se mit en route. Il marcha un jour ; il marcha une semaine. Au bout d'un
mois, il arriva dans un endroit qui ressemblait à un coin de paradis.
L'eau coulait à flot ; les arbres fruitiers étaient nombreux ; on voyait des champs de mil et de maïs, des pastèques à perte de vue. Le chef mangea d'abord à sa faim, puis se posa sur la branche d'un arbre pour
mieux observer ce lieu magique. Avant de repartir, il vit une scène qui l'inquiéta, mais il se dépêcha de rentrer pour annoncer la bonne nouvelle à son peuple.
Dès son retour, il leur dit :
- J'ai trouvé un endroit où la nourriture et l'eau sont abondants, un endroit agréable, mais j'ai vu là-bas une scène inquiétante.
- Quelle est cette scène ? demandèrent les autres en chœur.
- L'endroit n'est pas loin d'un village de paysans, et j'ai vu une fille qui pilait le mil avec un pilon et un mortier. Autour d'elle sautillaient des chèvres et des brebis. Le fils du chef de ce village jouait avec ces bêtes. Les bêtes voulaient manger le mil ; alors la fille s’est mise à les chasser avec son pilon !
- Mais qu'est ce que cela a à voir avec nous ? dirent les autres. Ce qui nous importe, c'est d'avoir à manger et à boire, c'est tout. On y part dès demain.
Ils arrivèrent sur les lieux, s'y installèrent et vécurent fort bien pendant plusieurs mois.
Un jour, en voulant chasser une chèvre avec son pilon, la fille la manqua et cassa la tête du fils du chef du village. Le chef, son père, réunit tous les guérisseurs pour le sauver. Ils exigèrent une grosse quantité de cervelle de singe pour le guérir.
Alors, en quelques heures, les garçons du village attrapèrent tous les singes et les attachèrent aux arbres, les pieds et les fesses en l'air et la tête qui pendait en bas. Les singes se tournèrent alors vers leur chef pour lui demander un conseil. Ce dernier leur dit :
- Vous ne m'avez pas écouté quand j'avais la tête en haut, sur mes épaules ! Que dire maintenant que j'ai la tête en bas et les fesses en l'air ?
Ce conte est fini ; le premier qui respire ira au Paradis.

conte de Mauritanie

Le matin des noces de son père, un petit bout d'homme, pas plus haut que trois sapotilles, son balai de latanier à la main, nettoyait le devant de sa chaumière ainsi que sa cour.
Un esprit surnaturel vint soudain se loger dans sa tête et lui dit que la future épouse de son père, qui avait
l'apparence trompeuse d'une femme fort belle était, en vérité, une ânesse. Pour en avoir la preuve, il lui conseilla de lui astiquer les fesses avec un nerf de bœuf pour qu'elle rue et retrouve sa vraie nature.
C'était une bien terrible révélation pour un petit bonhomme pas plus haut que trois citrons verts qui ne trouvait rien d'autre à faire que de chanter tout en balayant :
- M ap propte o !... Men pouki m ap propte ?... Je nettoie o !... Mais à quoi me sert-il de nettoyer ?
Il fut bien tenté d'en parler à son père, et peut-être même lui en glissa-t-il deux mots, peine perdue ! Le père était devenu un morceau de sucre qui fondait sous la langue de sa promise.
- M ap propte o ! Men pouki m ap propte ? continua de chanter le petit bonhomme pas plus haut que trois ciruelas. Il subtilisa le nerf de bœuf de son père et le cacha sous sa vareuse.
Au moment des réjouissances, les invités de la future épouse envahirent la cour et la maison ; ils étaient plus nombreux que ceux du futur marié. Ils buvaient, ils mangeaient, ils riaient comme des baudets.
C'est alors que le petit bonhomme pas plus haut que trois pois tendres, se plaça derrière la mariée et lui astiqua les fesses - vloup ! - avec le nerf de bœuf.
Blakadap ! Instantanément la mariée rua des quatre pattes. Campé bravement au milieu des invités, le petit bonhomme devenu grand comme un mapou fromager, lança, avec autorité, des coups de fouets sur les côtés, devant, derrière, en haut en bas : vloup ! vlap ! vlip !
La réception se transforma en écurie avec des braiements, des hennissements, des hihans, des blakadap. Chaque coup de fouet sur les fesses d'un invité le transformait en âne. Toute cette belle compagnie de bourricots ne cherchait qu'à fuir. On s'entrechoquait, on se bousculait, on s'entravait dans un brouhaha cocasse.
Lorsque, dans un colossal nuage de poussière, tous les ânes eurent disparu, le petit bonhomme et son père retrouvèrent, tapi dans un coin de la maison et tout penaud, un tout petit âne que ses toutes petites pattes ne lui avaient pas permis de fuir.
C'est ce tout petit âne là qui peupla l'île de tous les ânes qui, depuis lors, portent les fardeaux des paysans à travers les mornes plaines d'Haïti.

 

conte de Haïti

Il y a très longtemps, dans une contrée lointaine où les forêts étaient partout, vivait seul un hideux vieillard avec une chèvre qu’il aimait par-dessus tout. Celle-ci était très vieille mais restait en vie par amour pour lui. Le vieillard désirait une descendance.
Un beau jour, alors que le vieillard était allé couper du bois, sa chèvre, voulant lui prouver son amour, alla
voir le génie de l’arbre. Arrivée là-bas, le génie lui demanda de sa voix grave :
- Que veux tu, petit animal ?
- Je voudrais rendre mon maître heureux.
- De quelle manière puis-je t’aider ?
- Mon maître souhaite une descendance et j’aimerais la lui apporter.
Le génie réfléchit un moment puis lui dit :
- Je peux te transformer en femme.
Tout heureuse la chèvre sautait déjà partout à l’idée de rendre le vieillard heureux.
C’est à ce moment-là que le génie énonça une phrase bizarre :
- Kalakou, Kalakou, bérékoukiiiiiiii !
Et la chèvre se transforma en une superbe femme :
- Je te remercie grand génie de l’arbre.
Alors qu’elle s’en retournait, le génie lui cria :
- Tu sacrifieras ton cinquième enfant sur mon arbre.
Elle s'en retourna sans prêter attention à ce que lui disait le génie.
Quand le vieillard rentra chez lui, il fut surpris de trouver une femme. Celle-ci le rassura :
- C’est moi, ta chèvre ! Je suis allée voir le génie de l’arbre pour qu’il me transforme en femme afin d’assurer ta descendance comme tu le souhaitais.
Le vieillard la reconnut. Ils eurent un premier enfant puis un deuxième, un troisième un quatrième, et le cinquième.
La vie se déroula, ils vécurent heureux, sans problème.
Un jour, alors que les enfants jouaient dans la forêt, le cinquième enfant alla se cacher derrière un arbre. L’arbre l’attrapa et se mit à l’engloutir. Il se mit à chanter en s’adressant à ses frères :
« Bori, bori, djinamori, bori... Bori djinamori... Ka ta fo m’bayé... Djinamori bori... Bori djinamori »
Les autres enfants, ayant entendu les cris de leur frère, allèrent prévenir leur mère :
- Maman, Maman…
La mère entendit leurs cris et leur demanda :
- Mais que se passe-t-il, mes petits ?
- Bourouki s’est fait engloutir par l’arbre et il chante : « Bori, bori, djinamori, bori... Bori djinamori... Ka ta fo m’bayé... Djinamori bori... Bori djinamori »
La femme se souvint alors de ce que lui avait dit le génie. Elle alla voir celui-ci avec son mari, le vieil homme.
- Rends-moi mon enfant, dit-elle au génie.
Le génie lui répondit :
- Tu sacrifieras ton cinquième enfant sur mon arbre, souviens-toi. Tu l’as fait, alors je le prends !
La femme lui répondit :
- Mais tu n’as pas précisé à quel âge je devais le sacrifier et ceci est une faute dans les droits conférés aux génies. Tu dois donc me le rendre.
Le génie réfléchit et avoua :
- C’est vrai, malheureuse, tu as raison, je dois te le rendre.
Ils repartirent donc avec les cinq enfants et vécurent heureux.
Un oubli peut toujours être rattrapé.

conte du Mali

Lorsque Brise-Montagne ouvrit les yeux pour la première fois, il dit à sa mère qui le berçait :
- Je ne suis pas un bébé, cesse de me bercer et pose-moi à terre. D'abord, pourquoi est-elle fermée, cette porte ?
- Pour que les maringouins ne rentrent pas dans la maison, mon fils, glissa timidement la mère.
Il arracha la porte de ses gonds et la lança au loin. Une fois dans la cour, il empoigna un oranger, le déracina et l'agita comme un éventail pour chasser les fameux moustiques-maringouins.
Comme un vent violent se déchaîna soudainement et éteignit le charbon de bois sur lequel était posé la marmite du grillot de cochon, Brise-Montagne prit la viande à pleines mains et l'avala toute crue. Il éructa, se cura les dents et entraîna sa mère dans une danse endiablée. Puis empoignant le tambour de son père, il frappa si fort que celui-ci se brisa en mille morceaux. Fou de colère, il cogna les murs de la maison qui s'écroulèrent, blidip ! Il lui fallait prendre la route, quitter sa mère, vivre sa vie.
Alors, il enfourcha l'âne de son père qui s'effondra sous son poids, il enfourcha le cheval de son père qui s'effondra de même et prit la route sur ses deux pieds. D'un pas il franchit un morne ; d'un autre il en franchit deux. Lorsqu'il posait le pied sur une colline, il l'aplatissait comme une galette.

Lorsqu'il tapait du pied, la terre se fendait et provoquait un glissement de terrain. Arrivé au lac Azuéï, il mit les pieds dans l'eau et le lac déborda, inonda les terres environnantes et emporta les pêcheurs, leurs nasses et
leurs barques.
Dans une des rues de Gonaïves, il aborda un cordonnier et lui commanda une paire de sandales. Comme rien n'était à sa mesure, même une paire de sandales fabriquée dans deux peaux de vaches était encore trop petite pour lui. Il entra chez un forgeron et lui acheta des sandales en fer. Il les chaussa – le fer était encore brûlant – et s'en alla se rafraîchir les pieds en les trempant dans l'océan. Un grand remous, suivi d'une vague monstrueuse, fit couler tous les bateaux du port.
On entendit Brise-Montagne hurler, en frappant son buste comme l'aurait fait Tarzan :
- Aooouuuuuu, je suis le plus gros des gros hommes ! (Sachant que le plus gros des gros homme est certainement le plus grand). Et je ne dis que la vérité vraie !
Juste à cet instant, un tout petit oiseau laissa tomber un tout petit grain de maïs sur le bout de son nez. Brise-Montagne s'écroula sous le poids du choc, s'étala de tout son long, incapable de se relever. Son visage se décomposa et il éclata en sanglots en criant :
- Ma man-man !!!

conte de Haïti

Trois bœufs vivaient ensemble, dans une forêt, loin des autres animaux. Dans cet endroit, l’eau et le pâturage étaient abondants. Les bœufs vivaient dans la joie et la bonne humeur ; il leur arrivait d'organiser des soirées de fête où ils dansaient et chantaient mazeyenkoum, ma zeyenkoum, chacun disant aux deux autres : que vous êtes jolis, que vous êtes beaux.
Seulement les trois bœufs étaient de couleurs différentes, l'un était blanc, l'autre noir et le troisième, lui, était brun.
Un jour, ils reçoivent la visite de Gayndé le lion qui leur propose de rester quelques jours avec eux. Ils acceptent et continuent de vivre comme si de rien n'était. Lui, ce qu'il désire, c’est manger les bœufs, mais comme ils sont tout le temps ensemble, il ne peut pas le faire.
Un soir, il vient à côté du bœuf blanc et du bœuf marron et leur dit en douce :
- J'ai remarqué une chose que vous n’avez pas vue : ce bœuf noir, il est trop gourmand.
Tout le pâturage, toute l'eau, si vous faites pas quelque chose, il va les finir bientôt et vous allez tous mourir de faim. J'ai même vu que dans l'enclos où vous dormez, il prend toute la place. Alors tuons-le avant qu'il ne soit trop tard !
Les deux bœufs opposent un refus catégorique à la proposition du lion :
- Non, nous refusons, c’est notre frère.
Le lendemain, le bœuf blanc et le bœuf brun commencent à prêter attention à la façon de manger et de boire du bœuf noir. Quand ils s'arrêtent pour l'observer, lui continue à manger et boire comme si de rien n'était. Une semaine passe, le lion comme la première fois vient voir le bœuf blanc et le bœuf brun, et leur fait la même proposition. Encore une fois les deux bœufs opposent un refus mais un refus moins catégorique :
- Non, non, c'est notre frère.
Les jours se succèdent et les deux bœufs prêtent de plus en plus attention au comportement du bœuf noir. A la fin de la troisième semaine, après la fête du soir, les deux bœufs aident le lion à tuer le bœuf noir. Le lion aussitôt mange le bœuf noir.
Un mois après, le lion s'approche discrètement du bœuf brun et lui dit :
- Tu vois ce bœuf blanc, il est différent de nous, toi comme moi nous sommes bruns, mais lui il diffère de nous : il est blanc. Tuons-le et, comme ça, nous allons rester seuls dans la forêt avec notre belle couleur.
Le bœuf brun n'ayant pas compris la ruse du lion, l'aide à tuer le bœuf blanc, que le lion dévore sur le champ.
Quelque temps après, comme le bœuf brun était tout seul dans la forêt avec le lion, ce dernier n'a pas de peine pour le manger.

On dit en woloof : « mboloo moy dooley » (c'est l'union qui fait la force).

conte de Mauritanie

Baffo était une petite fille mal élevée. Elle passait son temps à se battre avec ses camarades et refusait obstinément de travailler. De plus, elle ne pouvait voir un objet sans y toucher.
Ses parents la punissaient souvent, mais c'était peine perdue : elle n'en devenait pas meilleure pour cela.
Un jour, au marché, Baffo vit des petits canaris blancs. Elle en prit un au creux de sa main et demanda au marchand voisin :
— Quel est le prix de ce canari ?
— Je n'en sais rien, répondit l'homme. Mais, de toute façon, il n'est pas à vendre !
Sans prêter attention à ces paroles, Baffo jeta à terre vingt pièces et s'éloigna en emportant le canari.
— Quand le marchand s'en reviendra, se dit-elle, il trouvera l'argent à la place du canari.
Or ces petits canaris blancs n'étaient autres que des aigrettes qui, à chaque jour de marché, se transformaient pour vivre un peu au milieu des hommes.
Avant que Baffo ait atteint sa case, le canari redevint aigrette. L'oiseau saisit alors la petite fille et s'envola avec elle jusqu'au sommet d'un grand arbre. Puis, déposant Baffo sur une grosse branche, il reprit son vol et disparut.
Baffo poussa des cris, suppliant les passants de prévenir ses parents. Ceux-ci accoururent, amenant avec eux leur chien noir qui grimpa à l'arbre et en redescendit avec Baffo.
La leçon profita à la fillette qui se corrigea de son indiscipline. Et, par reconnaissance, elle n'oublia jamais, chaque fois qu'elle mangeait son couscous, d'en donner la première et la dernière poignée au gros chien noir qui l'avait tirée de ce mauvais pas.

 

conte d'Afrique

Au cours d'un repas qu'il partageait avec la reine, le roi Christophe racontait qu'il faisait très froid sur le Mont
Laferrière où il était allé, ce matin-là, superviser la construction de sa Citadelle.
- Il n'y fait pas froid du tout, mon roi, dit Janot, le cuisinier, en s'immisçant tout de go dans la conversation.
- Pourtant, si un homme reste là-haut toute la nuit, sans vêtement ou sans aucune source de chaleur, il mourra de froid , affirma le roi.
- Oh non, car il n'y fait vraiment pas froid, insista Janot.
- Mais qui es-tu pour tenir ainsi tête à ton roi ? Ce soir, tu iras au sommet du mont Laferrière et tu y resteras sans vêtement et sans feu jusqu'à l'aube. Si tu es vivant au lever du soleil, je te donnerai en récompense cent hectares de terre cultivable. Mais si tu meurs (et c'est ce qui t'attend), on inscrira sur ta tombe:
« Ci-gît l'idiot qui a tenu tête au roi Christophe ».
Le soir même, deux gardes accompagnèrent Janot au Mont Laferrière et l'amenèrent jusqu'à la tour la plus élevée de la Citadelle. Janot ôta prestement ses vêtements, en s'exclamant :
- Vous voyez qu'il ne fait pas du tout froid !
Janot se prit à grelotter dès que le soleil se coucha, que le vent souffla et qu'un épais brouillard s'abattit sur la Citadelle.
- Pourquoi trembles-tu donc ? lui demandèrent les gardes.
- Pour garder la chaleur, répondit Janot qui ne tarda pas à claquer des dents.
- Pourquoi tes dents font-elles ce bruit ?
- Pour rompre le silence, dit Janot qui pleurait à chaudes larmes.
- Pourquoi pleures-tu donc ?
- Je pleure la mort de ma mère, chuchota Janot en se tapant les côtes.
- Pourquoi fais-tu ainsi ?
- Tout comme mon coq quand il se sent bien, susurra Janot avant de perdre connaissance.
Les gardes hissèrent son corps sur une jument et le ramenèrent au palais.
- Ah ! fit le roi, voilà mon stupide cuisinier mort, comme je m'y attendais.
- Pas mort du tout, dit Janot en ouvrant les yeux, je me reposais. Pour vous dire la vérité, sire, il fait même chaud là-haut. Je passais mon temps à regarder les étoiles et je regardais aussi les lumières de votre palais de Sans Souci.
- Ah! Ce sont donc les lumières des lampes à l'huile et des cheminées de Sans Souci qui te réchauffaient. Tu as triché Janot et pour cela tu as perdu ton pari.
- Sire, mon roi, les lumières de votre palais de Sans Souci sont à des kilomètres de la Citadelle, comment peuvent-elles me réchauffer ?
- N'insiste pas, fit le roi, tu n'as pas suivi les consignes. Tu n'auras pas tes cent hectares de terre. Un point, c'est tout.
Ce soir-là, la roi et la reine se mirent à table dans la grande salle à manger du palais de Sans Souci. Ils attendirent longuement d'être servis. Une fois, deux fois et encore une autre fois, Janot ft savoir au roi et à la reine que le dîner n'était pas prêt.
De guerre lasse, le roi lui-même se rendit aux cuisines et ,à sa grande stupeur, découvrit que la poêle qui contenait la nourriture à cuire se trouvait à une extrémité de la pièce et que le feu de charbon se trouvait à l'autre extrémité.
- Qu'est-ce que c'est que cette idiotie ? Comment la nourriture peut-elle cuire si elle n'est pas sur le feu, Janot ?
- Patience, mon roi, la poêle n'est pas bien loin du feu. Si moi, depuis la Citadelle, j'ai pu me réchauffer grâce aux lumières du palais de Sans Souci, c'est certain que les aliments cuiront à proximité du feu.
- Allons, tu as gagné, Janot, tes cent hectares de terre cultivable, dit le roi en éclatant de
rire. Mais maintenant mets ta poêle sur le feu : nous avons faim, la reine et moi !

 

conte de Haïti

Banta et la tortue qui chante
Comment le lion devint roi
Fari l'ânesse
Golo, les singes et leur chef
Les ânes apparurent en Haïti
La chèvre et le vieillard
La naissance de Brise-Montagne
La ruse de Gayndé le lion
Le canari merveilleux
Janot le cuisinier du roi

Youma était une orpheline. Sa mère était partie en lui donnant la vie. Très jeune, on l’avait mariée à un homme.
Un homme jaloux, si jaloux qu’il avait quitté tout le monde pour aller s’installer au milieu de la forêt. Tous
les soirs, de retour de la chasse, il punissait Youma.
Ce soir-là, il fut particulièrement cruel. Après avoir puni Youma comme on traite son mil, il s’empara de
son fusil et menaça de la tuer. Youma se sauva dans la nuit. Elle voulait rejoindre le village de ses parents.
Mais le village de ses parents et le hameau de son mari étaient séparés par une grande rivière. Dans cette
rivière, vivait un vieux caïman mangeur d’hommes. Une fois la nuit tombée, personne ne pouvait traverser cette rivière sans se faire dévorer par le vieux caïman.
Youma se retrouva au bord de la rivière. Si elle s’y jetait, le vieux caïman allait la dévorer, mais si elle retournait chez son mari, celui-ci allait peut-être la tuer. Elle tremblait, pleurait, se lamentait. Soudain, la rivière se mit à remuer dans tous les sens, balayée comme par une tempête. Dans l’obscurité, Youma vit émerger de l’eau et nager vers elle quelque chose comme une île fottante : c’était le vieux caïman. Il vint s’amarrer prêt de Youma et lui dit :
- Monte sur mon dos, ma flle. Je vais te faire traverser !
Youma monta et le caïman la transporta sur l’autre rive. En la déposant, il lui dit cependant :
- Que cela reste entre nous ! Personne d’autre ne doit le savoir !
Youma rentra chez ses parents. Sa marâtre effrayée lui demanda :
- Qui t’a aidée à traverser la rivière ? Dis-moi !
Elle répondit en baissant les yeux :
- Personne.
Son père lui posa la même question, de même que les vieux du village, les jeunes. A tous elle répondit :
- Personne.
Mais le jour où son copain d’enfance lui dit :
- Entre nous, qui t’a fait traverser la rivière ? Il y a le vieux caïman mangeur d’hommes. Même les plus braves chasseurs ne peuvent s’y hasarder une fois la nuit venue ! Dis-moi le secret, entre nous !
Elle répondit :
- C’est le vieux caïman lui-même qui m’a aidé ! Mais que cela reste entre nous !
Mais cela ne resta pas entre eux. Car ce que Youma ne savait pas, c’était que la petite tourterelle la surveillait. La petite tourterelle qui avait été témoin du pacte avec le vieux caïman !
Arriva le jour où elle devait retourner chez son mari. De nouveau, toute seule, elle se retrouva au bord de la rivière, dans la nuit. C’était le clair de lune. Le vieux caïman émergea de l’eau et commença à nager vers elle quand la petite tourterelle, perchée sur une branche, chanta :
- Son père le lui a demandé, elle a répondu : Personne !
Sa mère le lui a demandé : Personne !
Même les vieux le lui ont demandé, toujours : Personne !
Mais quand son copain le lui a demandé, elle a répondu :
C’est le vieux caïman lui-même Qui m’a aidée !
Le vieux caïman se tourna vers la tourterelle et lui dit :
-Ta chanson est certes belle. Mais je ne l’ai entendue que d’une oreille. Si tu venais te percher sur ma langue pour la répéter, je l’entendrais des deux !
La petite tourterelle sauta sur la langue du vieux caïman et acheva sa chanson dans l’estomac de celui-ci.
Ensuite, le vieux caïman vint se ranger auprès de Youma :
- Monte, ma flle. Je vais te faire traverser. Et gare à ton mari si de nouveau il touche un seul de tes cheveux. Il aura affaire à moi !
Il fit traverser Youma et lui donna beaucoup de richesses : des vêtements, de l’or et des chevaux. Elle devint une reine et fonda sa dynastie.

 

conte du Mali

La jeune femme, la tourterelle et le vieux caïman

Il était une fois un jeune citadin qui n’avait jamais quitté sa ville. Il décida un jour de visiter le village de ses ancêtres, un petit village perdu dans la campagne, situé près d’une grande forêt. Dans cette forêt, il y avait beaucoup d’animaux sauvages et surtout des lions. Le jeune homme n’avait jamais vu de lion ni à la télévision, ni en photos. Il faut dire que ces produits de la modernité n’étaient pas connus dans ces temps-là chez nous.
Les gens de ce village n’allaient jamais dans la forêt, à cause des lions. On raconte même que, quand les lions rugissaient dans la forêt, les portes des maisons claquaient, les canaris et les marmites se renversaient et tous les gens se terraient dans leur maison.
Un beau matin, donc, le jeune citadin qui s’appelait Demba débarqua dans le village de ses ancêtres et ft vite connaissance avec tout le monde, et surtout avec Fatou, une belle jeune fille qui était une de ses cousines lointaines. Les fiançailles ne durèrent pas longtemps, car ils décidèrent de se marier. Après quelques jours de noces, Demba retourna en ville.
Une année plus tard, il décida de retourner au village pour s’y installer définitivement avec Fatou et leur enfant. Pour marquer sa venue et montrer sa bravoure, il proposa à sa femme une promenade dans la forêt. Cette dernière, surprise, lui dit :
- Mais tu es fou, tu veux que les lions nous dévorent tous les deux !
- Tu vas voir que moi je suis un homme, je ne suis pas comme les poltrons de chez vous. Suis-moi et amène avec toi notre fils ! dit Demba.
La mort dans l’âme, Fatou obéit à son époux.
Arrivé à l’orée de la forêt, soudain, un chacal sortit d’une touffe d’herbes et fla devant eux. Demba se mit à crier :
- Ah, ah tu vois, les lions, quand ils me voient, ils détalent.
- Mais ce n’est pas un lion, dit Fatou.
- C’est quoi ? demanda Demba.
- C’est un chacal, répondit Fatou.
- Qu’importe, dit Demba, tu vas voir !
Quelques moments après, ce fut au tour d’une hyène de détaler devant eux. Demba sauta et dit :
- Ce n’est pas un chacal ! C’est un lion, il est plus grand !
- Doucement, dit Fatou, ce n’est qu’une hyène.
Après avoir longuement marché sans voir de lion, Demba proposa à sa femme de se reposer à l’ombre d’un acacia. Fatou aménagea de la place sur le sol pour son enfant qui commençait à dormir. Elle se coucha derrière l’enfant et Demba fatigué fit de même.
La brise et la fraîcheur de l'ombre aidant, ils s’endormirent tous.
Pendant ce temps, un lion arriva et s’installa sous un arbre à quelques pas d’eux. Le bébé se réveilla le premier. Il vit l’animal, à quatre pattes s’approcha de lui et commença à jouer avec sa queue. Fatou à son tour se réveilla et aperçut son enfant en train de jouer avec le lion !
Elle réveilla son mari et lui dit :
- Notre enfant est en danger, il joue avec le lion.
Demba se redressa, fixa l’animal et dit :
- C’est ça un lion ?
- C’est ça même, répondit Fatou.
Aussitôt Demba commença à retrousser le bas de son pantalon. Fatou lui demanda alors :
- Tu vas sauter sur lui ?
Demba fit non de la tête et retroussa les manches de sa chemise.
- Tu vas le frapper avec un bâton ? demanda à nouveau Fatou.
Il fit non de la tête et dit à Fatou :
- Donne moi la main.
- Tu vas fuir ? questionna Fatou
- Oui, s’il plaît à Dieu, répondit Demba.
- Et notre flis alors ? dit Fatou en pleurant.
- On en fera un autre, cria Demba qui avait déjà commencé à courir.
Heureusement pour le bébé, ce n’était pas un lion mais une lionne, qui lui avait même donné un peu de son lait.
Mon conte est fni ; celui qui respire le premier ira au paradis.

 

conte de Mauritanie

Le jeune homme et le lion

Il était une fois les animaux de la brousse. Ils vivaient entre eux, seuls sur la terre. Enfin, non, pas tout à fait. Il y avait aussi dans la brousse les génies, les grands et les nains, qui, eux aussi, vivaient entre eux. Quant aux hommes, ils n’avaient pas encore fait leur apparition sur la terre.
A cette époque-là, lointaine, très lointaine, il n’y avait sur toute la surface de la terre qu’un seul cours d’eau, une petite rivière aux eaux salées, qui appartenait au petit hérisson. Un génie nain, un wokloni, avait eu la gentillesse de la lui montrer :
- C’est pour toi. Si quelqu’un y boit sans ta permission, la rivière disparaîtra. Si tu refuses à qui que ce soit la
permission d’y boire, la rivière disparaîtra pareillement.
De nature, le petit hérisson n’est pas méchant, malgré ses piquants qui lui en donnent l’air. Il suffisait donc de lui demander : « Petit hérisson, je meurs de soif. Est-ce que je peux aller boire dans ta rivière ? » Il répondait toujours par oui. Et on pouvait se désaltérer à satiété.
Mais un jour, l’éléphant, piqué par on ne sait quelle mouche, se leva et déclara :
- Moi, le plus grand de tous les animaux, le plus puissant, le plus fort, que je sois obligé à chaque fois de demander la permission à ce petit rien de hérisson, est inacceptable. Je ne le ferai donc plus. Désormais, je boirai sans sa permission !
Le petit hérisson n’était pas présent. Mais les autres animaux, qui attendaient son arrivée, dirent à l’éléphant :
- Ne fais pas ça, éléphant. Il ne te coûte rien de demander la permission au petit hérisson. Il n’a jamais refusé de l’eau à personne.
Mais l’éléphant ne les écouta pas. Il se leva et alla boire l’eau de la rivière. À peine eut-il commencé à boire que la rivière se retira. Et l’éléphant partit en barrissant.
Quelques instants après, arriva le petit hérisson, qui trouva que sa petite rivière aux eaux salées était à sec. Ils se dressa sur ses petites pattes et demanda :
- Qui a bu toute l’eau de ma petite rivière ?
- C’est l’éléphant, répondirent en chœur les autres animaux. On le lui avait pourtant déconseillé…
Et le petit hérisson de se dresser sur ses petites pattes et de chanter de sa voix courroucée :
« Ma petite rivière à moi... L’éléphant l’a vidée !... Si jamais je vois l’éléphant... Si jamais, jamais je rencontre l’éléphant... Je me battrais avec lui... Et je lui ferai rendre ma rivière !... Parole de hérisson. »
Ce disant, le petit hérisson partit à la recherche de l’éléphant. Il trottinait tout seul dans 
la brousse.

De temps en temps, il se redressait sur ses petites pattes ou montait sur un arbre pour chercher l’éléphant des yeux. Il était vraiment en colère. Mais est-ce qu’un petit rien de hérisson peut vaincre le grand éléphant ?
Le petit hérisson marcha ainsi pendant longtemps. Ce fut vers le petit soir qu’il vit l’éléphant. Le gros pachyderme avait fni d’engloutir des tonnes et des tonnes de nourriture et se reposait aux rayons couchants du soleil. Il dormait.
Le petit hérisson se dirigea droit sur lui. Il lui donna un coup de patte, puis un autre et un autre encore. L’éléphant se réveilla.
- C’est toi, toi qui as bu toute l’eau de ma petite rivière à moi, hein ? demanda le petit hérisson en colère.
- Oui, c’est moi. C’est bien moi. Et que veux tu ? bougonna l’éléphant.
- Me battre avec toi !
- Ah ! ah ! ah ! éclata de rire l’éléphant. Te battre avec moi ? Est-ce que tu n’es pas devenu fou ?
En réponse, le petit hérisson se mit à frapper le l’éléphant. Alors l’éléphant se fâcha. Il se leva. Il leva sa trompe et frappa à son tour le petit hérisson. C’était ce qu’il ne fallait pas faire. Le petit hérisson enfonça tous ses piquants dans la trompe de l’éléphant qui hurla de douleur et appela tous les animaux au secours. Ceux-ci vinrent supplier le petit hérisson d’enlever ses piquants de la trompe de l’éléphant. Le petit hérisson, malgré ses piquants, n’est pas méchant. Il accepta volontiers de soigner l'éléphant.
C’est depuis ce jour que l’éléphant, malgré sa force, ne s’attaque jamais aux plus petits que lui.

 

conte du Mali

L'éléphant et le hérisson

Cette année-là, au pays des animaux, il ne tomba pas une seule goutte de pluie. Et pour ne rien arranger, les criquets étaient venus dévorer le peu de végétations qui avait poussé. Le lion,
leur roi, les convoqua dans son palais et leur tint ce discours :
- Chers sujets, comme vous le savez tous, il n’est pas tombé une seule goutte de pluie dans notre pays. Il n’y a pas de nourriture. Aussi, moi, votre roi, le roi de tous les animaux, je décrète :
Article 1 : Que personne ne vienne me demander à manger. Car je n’ai rien.
Article 2 : Que chacun se débrouille comme il peut.
Article 3 : Dispersez-vous ! Les animaux se dispersèrent, chacun allant de son côté. Avant, le cheval dit :
- Moi, je vais rejoindre les hommes au village. Ces petits êtres à deux pattes sont intelligents et ingénieux. En échange de mes services, ils me donneront à boire et à manger.
Il gagna le village en galopant. Il devint ainsi un animal domestique. L’âne le mouton, le dromadaire, bref, tous les animaux aujourd’hui domestiques dirent la même chose et rejoignirent les hommes au village.
La hyène, après mûre réflexion, trouva que c’était vrai que ces petits êtres bizarres qui marchaient à deux pattes étaient intelligents et inventifs, mais qu’ils possédaient un bâton, long, très long, qui crachait du feu ! Elle, la hyène, par prudence, allait attendre un peu et se débrouiller dans la brousse. Le lion lui donna raison. La girafe et l’éléphant lui donnèrent raison. Même le petit hérisson trouva que la hyène avait totalement raison, parce que prudence est mère de sûreté !

Tous les animaux aujourd’hui encore sauvages donnèrent raison à la hyène et préférèrent mourir de faim plutôt que de rôtir au fond d’une casserole. Ils s’enfoncèrent davantage dans la forêt.
Le petit hérisson, qui errait seul dans la brousse vit un arbre à samba, couvert de fruits mûrs et délicieux. Il monta sur l’arbre et commença à manger. Vint le lion qui le vit sur l’arbre. Le lion lui demanda de lui envoyer quelques fruits. C’était vrai que lui, le roi de tous les animaux, il avait imposé à chacun de se débrouiller tout seul, mais cela faisait trois jours qu’il ne s'était rien mis sous la dent.

Le hérisson lui envoya un premier fruit. Il le mangea. Hum ! C’était délicieux. Il envoya un deuxième fruit. Le lion le mangea. Mais le troisième fruit vint frapper le lion sur son museau royal !
- A moi ça ? A moi, petit hérisson ! rugit le lion. Malheur à toi ! Grand grand malheur à toi si tu descends !
Le petit hérisson resta dans l’arbre. Il pleurait. Il se lamentait. Quelque temps après, arriva la hyène. Elle vit le petit hérisson en train de pleurer abondamment. Elle eut pitié :
- Petit hérisson, que t’est-il arrivé ? Ton arbre est plein de fruits. Il faut manger au lieu de pleurer !
En réponse le petit hérisson chanta :
- Tout à l’heure, le lion dit que chacun devait se débrouiller comme il pouvait. Mais voici ce même lion qui vient me demander des fruits. Le fruit est tombé sur le museau, et il m’a dit : malheur à toi. Grand grand malheur à toi petit hérisson !
La hyène n’avait pas vu le lion. Quand elle le vit et que le lion la menaça de son regard furibond, elle s’enfuit en disant :
- Eh bien, malheur à toi ! Grand grand malheur à toi petit hérisson !
La grande girafe au long cou passait aussi par là. Quand elle vit le petit hérisson en train de pleurer dans les branches de l’arbre à samba, elle eut pitié et lui en demanda la raison. Mais quand la raison lui fut expliquée et qu’elle eut vu le lion au pied de l’arbre, elle s’enfuit en criant :
- Eh bien, malheur à toi ! Grand grand malheur à toi petit hérisson !
Le buffle arriva et dit la même chose. Même le grand éléphant dit la même chose. Tout le monde dit la même chose. Tout le monde ? Non.
Le petit lièvre arriva sur son cheval, en fait un grand coq qui galopait, en chantant :
- La vérité, rien que la vérité et toujours la vérité !
Le petit lièvre vit le petit hérisson au sommet de l’arbre, qui pleurait, pleurait sans s’arrêter. Il lui demanda :
- Que t’arrive-t-il, petit hérisson ?
Le petit hérisson lui chanta sa petite chanson. Le petit lièvre n’avait pas vu le lion au pied de l’arbre. Quand il le vit et que le lion le menaça de son regard, il lui cria :
- Va-t-en d’ici ! C’est toi même qui as dit que chacun devait se débrouiller comme il pouvait. Tu n’as pas le droit de venir menacer le petit hérisson !
Le lion bondit pour attraper le petit lièvre. Celui-ci se sauva sur son cheval de coq vers le village. Le lion le poursuivit. A l’entrée du village, il y avait, debout derrière un arbre, un homme qui tenait un long bâton. Quand le lion vit cet homme, il retourna dans la brousse. Le petit lièvre entra dans le village et devint le lapin.

conte du Mali

Le lion et le hérisson

Tout le monde sait que le singe ne peut pas rester un moment sans se gratter le corps. Tout le monde sait
aussi que le lièvre, curieux qu'il est comme un journaliste, ne peut pas rester un moment sans se retourner à
gauche et à droite pour voir ce qui se passe aux alentours.
Un matin, les deux compères se rencontrèrent, dans la forêt, sous un acacia. Le lièvre dit au singe :
- Est-ce que tu sais ce que les gens disent de toi ? Eh bien, ils disent que tu ne peux pas rester un seul instant
sans te gratter le corps. Il y en à même qui disent que ta mère t’a enfanté dans une fourmilière et depuis les fourmis sont dans ta chaire ce qui explique ça.
- C'est faux, répond le singe, moi je peux rester une heure, deux heures, vingt-quatre heures même sans me
gratter le corps. Ils racontent n'importe quoi. Toi aussi avec tes longues oreilles qui semblent défier le ciel, est ce que tu as entendu ce que les gens disent de toi ? Ha ha ha !
Ils disent que tu ne peux pas rester un seul instant sans te retourner à gauche, à droite et regarder en bas et en haut.
- C'est archi-faux, dit le lièvre, je peux rester une heure, deux heures, vingt quatre heures même sans me retourner.
- Alors faisons un pari pour vérifier ça, dit le singe.
- D’accord, répondit l'autre.
- Mettons-nous l'un en face de l'autre, dit le lièvre, pour voir qui de nous deux restera le plus longtemps, toi sans te gratter ou moi sans me retourner.
Ils se mirent face à face et l'épreuve commença.
Au bout d'une bonne heure de concentration, pendant laquelle aucun n'a ni bougé, ni parlé, le lièvre dit :
- Si on se racontait des histoires pour meubler le temps ?
- D’accord ! fit l’autre. Vas-y, commence !
Le lièvre dit :
- Tu sais, il y a longtemps, j’ai participé à une guerre ! Si tu savais comment les balles fusaient ! Elles nous venaient de tous les côtés, du côté droit (il se tourne vers le côté droit), du côté gauche (il se tourne vers le côté gauche).
Le singe lui coupa alors la parole, en disant:
- Mais ça, ce n'est rien du tout ! Moi, j'ai participé à une guerre bien plus meurtrière encore où les balles nous tapaient sur la poitrine (et il se gratte la poitrine), les balles nous tapaient sur la cuisse gauche (et il se gratte la cuisse gauche).
Brusquement le lièvre se mit à sauter en criant :
- J’ai gagné ! J'ai gagné : tu t'es gratté !
Et l’autre lui répondit :
- Mais toi tu t'es retourné avant moi !
Depuis ce jour, quand il y a un pari manqué, on dit que c'est le pari du lièvre et du singe.
Ce conte est fini ; le premier qui respire ira au Paradis.

conte de Mauritanie

Le pari du singe et du lièvre

On demanda à al-Shiblî :

– Qui t’a conduit à la voie soufie ?

– Un chien assoiffé que j’ai vu un jour se tenir au bord d’une rivière, répondit-il. Chaque fois qu’il voulait boire, il voyait son reflet dans l’eau et reculait, croyant qu’il y avait un autre chien. Puis, à cause de sa soif, il finit par se jeter dans l’eau, faisant ainsi disparaître l’autre chien. Ainsi il réalisa que c’était son image qui lui faisait obstacle. De même l’obstacle qui me faisait face a disparu ; j’ai donc connu mon moi et j’ai suivi la voie apprise du comportement du chien.

al-Shiblî

Extrait de : Moufdi Bachari – Sagesse Soufie.

Al-Shiblî

Un vieil homme était assis à l’entrée d’une ville. Un étranger venu de loin s’approche et lui demande : “Je ne connais pas cette cité. Comment sont les gens qui vivent ici ?”

Le vieil homme répond par une question : “Comment sont les habitants de la ville d’où tu viens ?

– Égoïstes et méchants, lui dit l’étranger. C’est pour cette raison que je suis parti.
– Tu trouveras les mêmes ici, lui répond le vieillard.”

Un peu tard, un autre étranger s’approche du vieil homme. “Je viens de loin, lui dit-il. Dis-moi, comment sont les gens qui vivent ici ?”

Le vieil homme lui répond : “Comment sont les habitants de la ville d’où tu viens ?

– Bons et accueillants, lui dit l’étranger. J’avais de nombreux amis, j’ai eu de la peine à les quitter.”

Le vieil homme lui sourit : “Tu trouveras les mêmes ici.”

Un vendeur de chameau avait suivi les deux scènes de loin. Il s’approche du vieillard : “Comment peux-tu dire à ces deux étrangers deux choses opposées ?” Et le vieillard lui répond : “Parce que chacun porte son univers dans son cœur. Le regard que nous portons sur le monde n’est pas le monde lui-même, mais le monde tel que nous le percevons. Un homme heureux quelque part sera heureux partout. Un homme malheureux quelque part sera malheureux partout.”

Cité par : Frédéric Lenoir – La puissance de la joie.

Les deux étrangers

un conte qui nous invite à réfléchir sur la cupidité et la jalousie

Un chausseur prit au piège un petit oiseau couleur jaune, un serin. Il allait le tuer pour le faire cuire car il était tiraillé par les cris de son corps en dépit de la maigre prise, lorsque le petit oiseau s’adressa à lui : 

– Regarde moi ! Vois ! Je suis minuscule et maigre. Tu ne feras de moi qu’une bouchée. Laisse moi la vie sauve et je te révélerai trois vérités qui te seront utiles dès demain et tout au long de ton existence. 

A cette époque, en ces temps reculés, les hommes et les animaux terrestres avaient l’habitude de se comprendre et de parler ensemble lorsque la nécessité se faisait force de loi. 

– Comment te croirai-je ? répliqua la chasseur. Ce n’est qu’une ruse, un mensonge éhonté de ta part, pour avoir la vie sauve !

– Non, non ! jura l’oiseau. Je t’assure ! Je te dirai la première vérité lorsque je serai encore dans ta main; la deuxième une fois perché sur ton épaule et tu pourras toujours m’attraper facilement; et la troisième dès que je serai là haut sur la branche, dans l’arbre, toujours à ta portée. 

Le chasseur jugea le marché équitable.

– C’est d’accord, fais moi entendre la première vérité. 

– Si tu perds quelque chose, lui dit le serin, tu ne dois jamais le regretter, car la vie doit aller de l’avant, et non s’encombrer du passé. Que demain ne soit pas l’otage d’hier, car vivre dans le passé, être dans la nostalgie, c’est oublier le présent et se fermer les portes du futur… Vivre, c’est vivre l’instant présent. 

Le chasseur réfléchit et trouva que c’était une bien belle vérité. Combien de gens ne cessent de ressasser le passé “avant, c’était mieux !”. Et il en faisait partie…

Il tint donc parole et laissa l’oiseau s’envoler vers l’arbre voisin.

– Si l’on te raconte quelque chose d’absurde ou d’invraisemblable, lui cria le serin, refuse toujours de le croire, à moins qu’on ne t’en donne une preuve éclatante. Fais confiance mais vérifie par toi-même et multiplie tes sources. 

Le chasseur acquiesça avec force car combien de ses semblables ne prennent plus le temps de réfuter, de vérifier, d’argumenter et d’arrêter de vivre des “abrégés du vrai”…

Sur ce, l’oiseau s’envola hors d’atteinte et commença à rigoler, à rire et à se moquer du chasseur. 

– Comme tu es bête et comme je t’ai bien eu ! Sache qu’il y a dans mon coeur deux diamants pesant chacun plus de cinquante grammes. Non seulement si tu me tuais, ils étaient à toi… tu serais riche, et en plus tu te serais fais plaisir en te délectant de ma chair tendre et parfumée… Mais tu m’as laissé partir !

Fou de rage, le chasseur s’en arracha les cheveux en regrettant de ne pas avoir tué l’oiseau. Puis il dit au serin : 

– Je le savais, je le savais ! Tu vois, la vie n’est qu’un mensonge. Mais au moins, tu as la vie sauve, en contre partie, révèle-moi au moins la troisième vérité !

– Pour quoi faire, lui répliqua le serin, puisque tu n’es qu’un idiot qui ne met pas en pratique ce que nous venons de dire ? Je t’avais dit de ne jamais rien regretter, et tu regrettes déjà ton geste de m’avoir libéré. Je t’avais dit de ne pas croire des choses invraisemblables, et tu as cru qu’un petit oiseau comme moi, qui ne pèse pas plus de quinze grammes dans ta main, peut renfermer deux diamants de cinquante grammes. Pauvre fou ! 

Mais voici tout de même la troisième vérité qui te concerne plus que tout autre et concerne tous tes semblables : la convoitise, la cupidité, la jalousie aveuglent le cœur des hommes et ce sont par elles que vous êtes tous abusés. 

Sur ces belles paroles, le petit serin s’envola à tout jamais…

D'après les poètes persans : Farid al-Din Attar & Djatal al Din Rumi (1207-1273)

Les trois vérités du serin

"Est pauvre non pas celui qui n’a rien mais celui qui envie." – Malek Boukerchi

Un conte pour apprécier les instants du quotidien et réapprendre à s’émerveiller

Un puissant seigneur extrêmement riche et un pauvre paysan avaient chacun un fils. Le puissant seigneur monta avec son fils en haut d’une montagne, lui montra avec fierté le paysage en contrebas et lui dit avec engouement :

– Regarde, mon fils ! Un jour, tout cela sera à toi, le jour de ta succession !

Le fils ressentit alors une grande exaltation, une ivresse de puissance, un bonheur intense. Mais tandis qu’il redescendait doucement de la montagne, sa joie fut perturbée par des pensées de peurs, de craintes : et si son père demain changeait d’avis ? et si des intrigants prenaient le pouvoir ? et s’il disparaissait le lendemain sans qu’il ait eu le temps de lui transmettre la charge ? et si… ?

Le paysan pauvre monta avec son fils sur l’autre versant de la même montagne, au même moment; il lui montra le même paysage et lui dit avec amour :

– Regarde, mon fils ! Regarde !

Le fils resta là, attentif aux sons, aux odeurs, aux couleurs, aux images, et s’imprégna de la majesté du monde, le cœur emplit de joie…

Le puissant seigneur 

Tout le monde sait que les tortues sont extrêmement avisées.

Un jour, l'une d'entre elles rassembla tous les animaux pour les avertir :

" Une dangereuse plante pousse dans notre forêt. Nous devons la supprimer, sinon c'est elle qui nous supprimera ! "

La tortue conduisit les animaux à la lisière de la forêt où s'étendaient les champs de chanvre et dit :

" Voici la plante en question ! "

Les animaux l'examinèrent et goûtèrent à ses petites feuilles.

L'antilope fit la grimace :

" C'est amer. Je ne vois pas pourquoi je devrais la brouter. "

Le flamant hochait la tête :

" Moi non plus. Je ne peux rien faire du chanvre, puisque je vis la plupart du temps dans l'eau."

La carpe ne dit rien, mais s'en alla d'un coup de nageoire.

Ainsi, le chanvre poussa en toute tranquillité. Un jour, les hommes vinrent, l'arrachèrent et en tressèrent des cordes. Ils les prirent pour bander leurs arcs. Ensuite, ils taillèrent des flèches dans l'écorce de palmier et allèrent chasser les oiseaux. Arrivés au bord de l'eau, ils lancèrent leurs flèches contre une bande de flamants. Les oiseaux s'envolèrent, mais l'un d'entre eux resta sur la rive, mortellement blessé. La tortue s'approcha de lui :

" Si tu m'avais obéi lorsque je t'avais demandé de supprimer la plante de la forêt, tu volerais aujourd'hui tranquillement dans les cieux ! "

Le flamant supplia :

" Aie, tortue ! aide-moi "

" Il est trop tard. "

Un homme vint, prit le flamant et l'emporta chez lui.

Ensuite, les hommes prirent une canne et y attachèrent une corde avec un crochet au bout. Ils plongèrent l'hameçon dans l'eau et en très peu de temps, une carpe s'agita au bout de la corde.

La tortue s'approcha d'elle à la nage :

" Si tu m'avais écoutée, tu nagerais aujourd'hui en toute tranquillité ! "

" Aïe, tortue ! aide-moi ! " supplia la carpe.

" Il est trop tard ", répondit la tortue.

Un homme tira sur la canne et sortit la carpe de l'eau.

Ensuite, les hommes prirent les cordes et en firent des noeuds coulants qu'ils disposèrent sur un sentier. L'antilope s'y laissa prendre.

La tortue s'approcha d'elle :

" Si tu m'avais écoutée, tu courrais aujourd'hui tranquillement dans la clairière ! "

" Aie, tortue ! aide-moi ! " supplia l'antilope.

La tortue rongea la corde et libéra l'antilope. Depuis ce jour, elles furent amies. Et pourtant, l'antilope était aussi idiote que la tortue était rusée. Certes, elle admirait son amie pour son intelligence mais se disait dans son for intérieur :

" Son intelligence ne lui sert à rien, puis qu'elle est lente. Elle ne peut attraper personne, pas plus qu'elle ne peut fuir ses ennemis. "

Un jour, la tortue défia l'antilope :

" Tu me crois lente, mais je peux te battre à la course quand cela me plaît. "

" je voudrais voir cela ! " riait l'antilope.

" Alors regarde bien. Nous allons courir jusqu’au sommet de cette colline et on verra bien laquelle d'entre nous y arrivera la première. "

Juste avant la course, la tortue mordit la queue de l'antilope et s'y suspendit. L'antilope courut jusqu’au sommet de la colline et se retourna pour voir peiner la tortue. Celle-ci lâcha la queue de l'antilope et dit :

" Je suis là. Je t'attendais. "

L'antilope avait beau se creuser la tête, elle ne comprit pas comment la tortue s'y était prise pour arriver avant elle.

En ce temps-là, le roi des animaux, le lion, convia tous ses sujets à un somptueux festin. Le léopard, le singe, l'éléphant vinrent ainsi que l'antilope et la tortue. Le repas fut magnifique, il y avait de la nourriture en abondance pour tout le monde. L'éléphant mangea des bananes, le crocodile du poisson. Par malchance, la tortue et l'antilope, qui avaient déjà l'eau à la bouche, avaient oublié leurs assiettes à la maison. Le lion avait bien demandé aux animaux d'apporter leurs assiettes, mais la stupide antilope n'y avait pas pensé.

La tortue, occupée à inventer ses mauvais tours, avait bel et bien oublié, elle aussi, son couvert. Elle se tourna donc vers l'antilope :

" Cours vite à la maison chercher deux assiettes pour que nous puissions manger ! "

Mais l'antilope n'avait pas envie :

" Pourquoi moi ? Ne cours-tu pas plus vite que moi ? "

" Certes, mais tu habites plus près. "

L'antilope s'en alla chercher deux assiettes, mais auparavant, elle cria à la tortue :

" Ne mangez pas tout ! "

La tortue se mit aussitôt en quête d'une assiette. Elle aperçut un minuscule roitelet qui portait une énorme assiette.

" À quoi te sert une aussi grande assiette ? " lui demanda la tortue. " Deux graines suffisent pour te remplir l'estomac. "

" Tu as bien raison ", acquiesça le roitelet. " D'ailleurs, j'ai fini de manger. "

" Dans ce cas, pourrais-tu me prêter ton assiette ? J'ai oublié la mienne à la maison ", demanda la tortue. Le roitelet ne se fit pas prier :

" Fais seulement attention à ne pas la casser. "

La tortue remplit son assiette et mangea à se faire éclater le ventre. Après qu'elle eut rendu l'assiette au roitelet, l'antilope revint. Elle se mit aussitôt à se lamenter :

" Vous ne m'avez rien laissé ! "

Et, en effet, seuls des os et des peaux de bananes témoignaient du magnifique festin.

" Tu n'es pas la seule ! " riposta la tortue. " je n'ai pas mangé une seule bouchée en attendant mon assiette. Tu en as mis du temps ! "

Le lion interrompit les lamentations de la tortue et de l'antilope qui se tenaient là, toutes penaudes, l'assiette vide à la main :

" Vous avez tous bien mangé et vous avez pris des forces. Je vous donnerai l'occasion d'en faire une brillante démonstration. Nous allons tous lutter les uns avec les autres. Les vaincus deviendront les serviteurs des vainqueurs et le plus fort d'entre nous sera le roi. L'éléphant arbitrera les combats. "

L'idée du lion était bonne. Il avait beau être très courageux et puissant, l'éléphant était tout de même plus fort que lui. En tant qu'arbitre, cependant, il ne pouvait pas prendre part à la compétition.

Le lion ouvrit les hostilités en rugissant et bondit sur l'antilope. Celle-ci s'écarta et s'enfuit à toutes jambes. Voyant qu'il n'arriverait pas à l'attraper, le lion se tourna contre la tortue qui se tenait juste à côté. Malheureusement, il ne pouvait rien contre sa dure carapace. Il essaya donc de la retourner sur le dos avec sa patte, mais la tortue le mordit et rentra la tête dans sa carapace, tenant la patte du lion bien serrée dans ses mâchoires. Le lion rugit de douleur, mais la tortue tint bon. L'éléphant dut la déclarer vainqueur de la compétition.

Le lion s'en alla, vexé et humilié. La tortue devint la reine des animaux. Lorsque l'antilope revint sur ses pas, la tortue lui dit :

" Je t'ai sauvé la vie une seconde fois. Si je n'avais pas tenu la patte du lion, il aurait bien fini par t'attraper. "

L'antilope la remercia avec effusion. La tortue ne resta pas longtemps au pouvoir. Les animaux oublièrent rapidement qu'elle avait vaincu le lion et celui-ci récupéra petit à petit tout son prestige. Au demeurant, la tortue se moquait éperdument de sa nouvelle fonction : elle était trop intelligente pour une reine !

conte d'Afrique

La tortue avisée

Autrefois le lièvre alla trouver Wende et lui dit:

« Je veux que tu me montres beaucoup de tours.

- Apporte-moi alors trois choses, dit Wende.

- Lesquelles ? dit le lièvre.

-Apportes-moi le lait d’une femme de buffle, des larmes de serpent et une défense d’éléphant. Si tu m’apportes tout cela, je te montrerai tous les tours. »

Le lièvre redescendit sur terre et alla d’abord trouver l’éléphant. « Tiens, dit le lièvre, je croyais que cet arbre était plus petit que toi, mais beaucoup de gens disent qu’il est plus grand et, à le bien considérer, je crois bien m’être trompé... Décidément, tu es plus petit que cet arbre ! »

L’éléphant, piqué au vif, se leva sur ses pattes de derrière et, pour montrer qu’il était plus grand que l’arbuste, s’appuya sur lui, mais l’arbre se rompit sous le poids et l’éléphant tombant brutalement par terre se cassa une défense. Le lièvre se précipita sur la dent et l’offrit respectueusement à l’éléphant :

« Tu peux la jeter, dit celui-ci. A quoi me servirait-elle maintenant ? »

Le lièvre la mit dans sa poche et s’en alla. Puis il alla trouver une vipère heurtante qui était avec ses petits. Le lièvre se cacha non loin de là et quand la mère vipère s’en alla en promenade, il tua tous ses petits. Puis il se cacha de nouveau. Quand la mère vipère revint, elle trouva tous les serpenteaux morts et se mit à pleurer. Le lièvre apparut :

« Ne pleure pas, lui dit-il, tu auras d’autres enfants. »

Bref, il la consola, ramassa ses larmes et les mit dans une petite calebasse dont il s’était muni par avance. Puis il la quitta et, retournant chez lui, il pila du sel et le mélangeant avec de la farine de mil, il en fit une boule qu’il mit dans sa poche. Puis il alla en brousse et y chercha une mère buffle. Il en trouva une à côté d’une baobab avec son petit. Le lièvre arriva en courant et, faisant semblant de buter contre le baobab, s’étala au pied de celui-ci.

« Que fais-tu là ? » dit la mère buffle et elle le renifla de fort près. Le lièvre sortit rapidement sa boule de sel et de farine et la lui mit sous le nez et presque sur la langue. La mère buffle y gouta et même trouva cela fort de son goût.

« C’est bon ? dit le lièvre.

- Oui, dit la mère buffle.

- Eh bien ! tous les jours je peux en avoir une. J’arrive en courant, je donne un coup de tête contre le baobab et même je tombe, mais une boule de sel et de farine de mil se détache des branches du baobab et tombe par terre. Alors je la prends !

- Et si je faisais la même chose, dit la mère buffle alléchée.

Ferais-je tomber des boules ?

- Certes, dit le lièvre. »

La mère buffle alla à cent mètres de l’arbre, prit son élan, arriva en courant et donna un tel coup de tête dans le baobab que ses deux cornes s’enfoncèrent profondément dans le tronc.

« Attends, dit le lièvre, après l’avoir laissée faire des efforts infructueux pour se dégager. On peut mettre du lait autour de tes cornes pour qu’il soit plus facile de les faire sortir.

- Tire du lait vite ! vite ! » dit la mère buffle hord d’haleine et désespérée. Le lièvre prit sa calebasse, se mit à traire, mit du lait autour des cornes, du reste sans aucun effet. Puis il partit avec ce qui restait de lait, laissant la mère buffle se débrouiller toute seuls en compagnie de son bufflon.

Le lièvre revint trouver Wende, lui rapportant la dent d’éléphant, les larmes de vipère et le lait de buffle et lui réclamant en retour les tours demandés.

« Tu n’as qu’à partir, dit Wende. A quoi bon te donner d’autres ruses ? Tu les possèdes déjà toutes : je ne peux en ajouter à ton sac ni d’autres ni de plus extraordinaires. Va donc... »

Le lièvre quitta Wende et revient chez lui.

conte d'Afrique

Le lièvre et Wende

© Les contes sont la propriété de leurs auteurs.

Sire, sous le règne du calife Haroun-al-Raschid, dont je viens de parler, il y avait à Bagdad un pauvre porteur qui se nommait Hindbad. Un jour qu’il faisait une chaleur excessive, il portait une charge très pesante d’une extrémité de la ville à une autre. Comme il était fort fatigué du chemin qu’il avait déjà fait, et qu’il lui en restait encore beaucoup à faire, il arriva dans une rue où régnait un doux zéphyr, et dont le pavé était arrosé d’eau de rose. Ne pouvant désirer un vent plus favorable pour se reposer et reprendre de nouvelles forces, il posa sa charge à terre, et s’assit dessus auprès d’une grande maison.

Il se sut bientôt très bon gré de s’être arrêté en cet endroit ; car son odorat fut agréablement frappé d’un parfum exquis de bois d’aloès et de pastilles, qui sortait par les fenêtres de cet hôtel, et qui, se mêlant avec l’odeur de l’eau de rose, achevait d’embaumer l’air. Outre cela, il entendit en dedans un concert de divers instruments, accompagnés du ramage harmonieux d’un grand nombre de rossignols et d’autres oiseaux particuliers au climat de Bagdad. Cette gracieuse mélodie et la fumée de plusieurs sortes de viandes qui se faisaient sentir lui firent juger qu’il y avait là quelque festin et qu’on s’y réjouissait. Il voulut savoir qui demeurait en cette maison qu’il ne connaissait pas bien, parce qu’il n’avait pas eu occasion de passer souvent par cette rue. Pour satisfaire sa curiosité, il s’approcha de quelques domestiques, magnifiquement habillés, qu’il vit à la porte, et demanda à l’un d’entre eux comment s’appelait le maître de cet hôtel. « Hé quoi ! lui répondit le domestique, vous demeurez à Bagdad, et vous ignorez que c’est ici la demeure du seigneur Sindbad le marin, de ce fameux voyageur qui a parcouru toutes les mers que le soleil éclaire ? » Le porteur, qui avait ouï parler des richesses de Sindbad, ne put s’empêcher de porter envie à un homme dont la condition lui paraissait aussi heureuse qu’il trouvait la sienne déplorable. L’esprit aigri par ses réflexions, il leva les yeux au ciel, et dit assez haut pour être entendu : « Puissant créateur de toutes choses, considérez la différence qu’il y a entre Sindbad et moi ; je souffre tous les jours mille fatigues et mille maux ; et j’ai bien de la peine à me nourrir, moi et ma famille, de mauvais pain d’orge, pendant que l’heureux Sindbad dépense avec profusion d’immenses richesses et mène une vie pleine de délices. Qu’a-t-il fait pour obtenir de vous une destinée si agréable ? Qu’ai-je fait pour en mériter une si rigoureuse ? » En achevant ces paroles, il frappa du pied contre terre, comme un homme entièrement possédé de sa douleur et de son désespoir.

Il était encore occupé de ses tristes pensées, lorsqu’il vit sortir de l’hôtel un valet qui vint à lui, et qui, le prenant par le bras, lui dit : « Venez, suivez-moi ; le seigneur Sindbad, mon maître, veut vous parler. »

Hindbad ne fut pas peu surpris du compliment qu’on lui faisait. Après le discours qu’il venait de tenir, il avait sujet de craindre que Sindbad ne l’envoyât chercher pour lui faire quelque mauvais traitement ; c’est pourquoi il voulut s’excuser sur ce qu’il ne pouvait abandonner sa charge au milieu de la rue ; mais le valet de Sindbad l’assura qu’on y prendrait garde, et le pressa tellement sur l’ordre dont il était chargé, que le porteur fut obligé de se rendre à ses instances.

Le valet l’introduisit dans une grande salle, où il y avait un bon nombre de personnes autour d’une table couverte de toutes sortes de mets délicats. On voyait à la place d’honneur un personnage grave, bien fait et vénérable par une longue barbe blanche ; et derrière lui, étaient debout une foule d’officiers et de domestiques fort empressés à le servir. Ce personnage était Sindbad. Le porteur, dont le trouble s’augmenta à la vue de tant de monde et d’un festin si superbe, salua la compagnie en tremblant. Sindbad lui dit de s’approcher ; et après l’avoir fait asseoir à sa droite, il lui servit à manger lui-même, et lui fit donner à boire d’un excellent vin, dont le buffet était abondamment garni.

Sur la fin du repas, Sindbad, remarquant que ses convives ne mangeaient plus, prit la parole ; et s’adressant à Hindbad, qu’il traita de frère, selon la coutume des Arabes lorsqu’ils se parlent familièrement, lui demanda comment il se nommait, et quelle était sa profession. « Seigneur, lui répondit-il, je m’appelle Hindbad. — Je suis bien aise de vous voir, reprit Sindbad, et je vous réponds que la compagnie vous voit aussi avec plaisir ; mais je souhaiterais apprendre de vous-même ce que vous disiez tantôt dans la rue. » Sindbad, avant que de se mettre à table, avait entendu tout son discours par la fenêtre ; et c’était ce qui l’avait engagé à le faire appeler.

A cette demande, Hindbad, plein de confusion, baissa la tête et repartit « Seigneur, je vous avoue que ma lassitude m’avait mis en mauvaise humeur, et il m’est échappé quelques paroles indiscrètes que je vous supplie de me pardonner. — Oh ! ne croyez pas, reprit Sindbad, que je sois assez injuste pour en conserver du ressentiment. J’entre dans votre situation ; au lieu de vous reprocher vos murmures, je vous plains ; mais il faut que je vous tire d’une erreur où vous me paraissez être à mon égard. Vous vous imaginez sans doute que j’ai acquis sans peine et sans travail toutes les commodités et le repos dont vous voyez que je jouis ; désabusez-vous. Je ne suis parvenu à un état si heureux qu’après avoir souffert durant plusieurs années tous les travaux du corps et de l’esprit que l’imagination peut concevoir. Oui, seigneurs, ajouta-t-il en s’adressant à toute la compagnie, je puis vous assurer que ces travaux sont si extraordinaires, qu’ils sont capables d’ôter aux hommes les plus avides de richesses l’envie fatale de traverser les mers pour en acquérir. Vous n’avez peut-être entendu parler que confusément de mes étranges aventures, et des dangers que j’ai courus sur mer dans les sept voyages que j’ai faits ; et puisque l’occasion s’en présente, je vais vous en faire un rapport fidèle : je crois que vous ne serez pas fâchés de l’entendre. »

Comme Sindbad voulait raconter son histoire, particulièrement à cause du porteur, avant que de la commencer il ordonna qu’on fît porter la charge qu’il avait laissée dans la rue au lieu où Hindbad marqua qu’il souhaitait qu’elle fût portée. Après cela, il parla dans ces termes :

Traduit par Antoine Galland

Histoire de Sindbad le Marin

Sire, il y avait autrefois un pêcheur fort âgé et si pauvre, qu’à peine pouvait-il gagner de quoi faire subsister sa femme et trois enfants dont sa famille était composée. Il allait tous les jours à la pêche de grand matin ; et chaque jour il s’était fait une loi de ne jeter ses filets que quatre fois seulement.

II partit un matin au clair de la lune, et se rendit au bord de la mer, il se déshabilla, et jeta ses filets. Comme il les tirait vers le rivage, il sentit d’abord de la résistance ; il crut avoir fait une bonne pêche, et s’en réjouissait déjà en lui-même. Mais un moment après, s’apercevant qu’au lieu de poisson il n’y avait dans ses filets que la carcasse d’un âne, il eut beaucoup de chagrin d’avoir fait une si mauvaise pêche. Cependant quand il eut raccommodé ses filets que la carcasse de l’âne avait rompus en plusieurs endroits, il les jeta une seconde fois. En les tirant, il sentit encore beaucoup de résistance ; ce qui lui fit croire qu’ils étaient remplis de poisson ; mais il n’y trouva qu’un grand panier plein de gravier et de fange. Il en fut dans une extrême affliction. « O fortune s’écria-t-il d’une voix pitoyable, cesse d’être en colère contre moi, et ne persécute point un malheureux qui te prie de l’épargner Je suis parti de ma maison pour venir ici chercher ma vie, et tu m’annonces ma mort. Je n’ai pas d’autre métier que celui-ci pour subsister ; et malgré tous les soins que j’y apporte, je puis à peine fournir aux plus pressants besoins de ma famille. Mais j’ai tort de me plaindre de toi ; tu prends plaisir à maltraiter les honnêtes gens et à laisser les grands hommes dans l’obscurité, tandis que tu favorises les méchants, et que tu élèves ceux qui n’ont aucune vertu, qui les rende recommandables. »

 En achevant ces plaintes, il jeta brusquement le panier, et, après avoir bien lavé ses filets que la fange avait gâtés, il les jeta pour la troisième fois. Mais il n’amena que des pierres, des coquilles et de l’ordure. On ne saurait expliquer quel fut son désespoir peu s’en fallut qu’il ne perdît l’esprit. Cependant, comme le jour commençait à paraître, il n’oublia pas de faire sa prière en bon musulman1 ; ensuite il ajouta celle-ci : « Seigneur, vous savez que je ne jette mes filets que quatre fois chaque jour. Je les ai déjà jetés trois fois sans avoir tiré le moindre fruit de mon travail. Il ne m’en reste plus qu’une ; je vous supplie de rendre la mer favorable, comme vous l’avez rendue à Moïse2. »

Le pêcheur, ayant fini cette prière, jeta ses filets pour la quatrième fois. Quand il jugea qu’il devait y avoir du poisson, il les retira comme auparavant avec assez de peine. Il en avait pas pourtant ; mais il y trouva un vase de cuivre jaune, qui, à sa pesanteur, lui parut plein de quelque chose, et il remarqua qu’il était fermé et scellé de plomb, avec l’empreinte d’un sceau. Cela le réjouit. « Je le vendrai au fondeur, disait-il, et de l’argent que j’en ferai, j’achèterai une mesure de blé. »

Il examina le vase de tous côtés ; il le secoua, pour voir si ce qui était dedans ne ferait pas de bruit. Il n’entendit rien, cette circonstance, avec l’empreinte du sceau sur le couvercle de plomb, lui firent penser qu’il devait être rempli de quelque chose de précieux. Pour s’en éclaircir, il prit son couteau, et, avec un peu de peine, il l’ouvrit. Il en pencha aussitôt l’ouverture contre terre ; mais il n’en sortit rien, ce qui le surprit extrêmement. Il le posa devant lui, et pendant qu’il le considérait attentivement, il en sortit une fumée fort paisse, qui l’obligea de reculer deux ou trois pas en arrière. Cette fumée s’éleva jusqu’aux nues, et, s’étendant sur la mer sur le rivage, forma un gros brouillard : spectacle qui causa, comme on peut se l’imaginer, un étonnement extraordinaire au pêcheur. Lorsque la fumée fut toute hors du vase, elle se réunit et devint un corps solide, dont il se forma un génie deux fois aussi haut que le plus grand de tous les géants. A l’aspect d’un monstre d’une grandeur si démesurée pêcheur voulut prendre la fuite ; mais il se trouva si troublé et si effrayé, qu’il ne put marcher.

« Salomon3, s’écria d’abord le génie, Salomon, grand prophète de Dieu, pardon, pardon ! Jamais je ne m’opposerai à vos volontés. J’obéirai à tous vos commandements. »

Le pêcheur n’eut pas sitôt entendu les paroles que le génie avait prononcées, qu’il se rassura et lui dit : « Esprit superbe, que dites-vous ? Il y a plus de dix-huit cents ans que Salomon, le prophète de Dieu, est mort, et nous sommes présentement à la fin des siècles. Apprenez-moi votre histoire, et pour quel sujet vous étiez enfermé dans ce vase. »

A ce discours, le génie regardant le pêcheur d’un air fier, lui répondit : « Parle-moi plus civilement ; tu es bien hardi de m’appeler esprit superbe. — Eh bien ! reprit le pêcheur, vous parlerai-je avec plus de civilité en vous appelant hibou du bonheur ? — Je te dis, repartit le génie, de me parler plus civilement avant que je te tue. — Hé ! pourquoi me tueriez-vous ? répliqua le pêcheur. Je viens de vous mettre en liberté ; l’avez-vous déjà oublié ? — Non, je m’en souviens, repartit le génie ; mais cela ne m’empêchera pas de te faire mourir, et je n’ai qu’une seule grâce à t’accorder. — Et quelle est cette grâce ? dit le pêcheur. — C’est, répondit le génie, de te laisser choisir de quelle manière tu veux que je te tue. — Mais en quoi vous ai-je offensé ? reprit le pêcheur. Est-ce ainsi que vous voulez me récompenser du bien que je vous ai fait ? — Je ne puis te traiter autrement, dit le génie, et afin que tu en sois persuadé, écoute mon histoire :

« Je suis un de ces esprits rebelles qui se sont opposés à la volonté de Dieu. Tous les autres génies reconnurent le grand Salomon, prophète de Dieu, et se soumirent à lui. Nous fûmes les seuls, Sacar et moi, qui ne voulûmes pas faire cette bassesse. Pour s’en venger, ce puissant monarque chargea Assaf, fils de Barakhia, son premier ministre, de me venir prendre. Cela fut exécuté. Assaf vint se saisir de ma personne, et me mena malgré moi, devant le trône du roi son maître. Salomon, fils de David, me commanda de quitter mon genre de vie, de reconnaître son pouvoir et de me soumettre à ses commandements. Je refusai hautement de lui obéir, et j’aimai mieux m’exposer à tout son ressentiment que de lui prêter le serment de fidélité et de soumission qu’il exigeait de moi. Pour me punir, il m’enferma dans ce vase de cuivre, et, afin de s’assurer de moi, et que je ne pusse pas forcer ma prison, il imprima lui-même sur le couvercle de plomb son sceau, où le grand nom de Dieu était gravé. Cela fait, il mit le vase entre les mains d’un des génies qui lui obéissaient, avec ordre de me jeter à la mer ; ce qui fut exécuté à mon grand regret. Durant le premier siècle de ma prison, je jurai que si quelqu’un m’en délivrait avant les cent ans achevés, je le rendrais riche, même après sa mort. Mais le siècle s’écoula, et personne ne me rendit ce bon office. Pendant le second siècle, je fis serment d’ouvrir tous les trésors de la terre à quiconque me mettrait en liberté ; mais je ne fus pas plus heureux. Dans le troisième, je promis de faire puissant monarque mon libérateur, d’être toujours près de lui en esprit, et de lui accorder chaque jour trois demandes, de quelque nature qu’elles pussent être ; mais ce siècle se passa comme les deux autres, et je demeurai toujours dans le même état. Enfin, chagrin, ou plutôt enragé de me voir prisonnier si longtemps, je jurai que si quelqu’un m’en délivrait dans la suite, je le tuerais impitoyablement, et ne lui accorderais point d’autre grâce que de lui laisser le choix du genre de mort dont il voudrait que je le fisse mourir. C’est pourquoi, puisque tu es venu ici aujourd’hui, et que tu m’as délivré, choisis comment tu veux que je te tue. »

Ce discours affligea fort le pêcheur. « Je suis bien malheureux, s’écria-t-il, d’être venu en cet endroit rendre un si grand service à un ingrat. Considérez, de grâce, votre injustice, et révoquez un serment si peu raisonnable. Pardonnez-moi, Dieu vous pardonnera de même. Si vous ne donnez généreusement la vie, il vous mettra à couvert de tous les complots qui se formeront contre vos jours. — Non, ta mort est certaine, dit le génie ; choisis seulement de quelle sorte tu veux que je te fasse mourir. » Le pêcheur, le voyant dans la résolution de le tuer, en eut une douleur extrême, non pas tant pour l’amour de lui qu’à cause de ses trois enfants dont il plaignait la misère où ils allaient être réduits par sa mort. Il tâcha encore d’apaiser le génie. « Hélas ! reprit-il, daignez avoir pitié de moi, en considération de ce que j’ai fait pour vous. — Je te l’ai déjà dit repartit le génie ; c’est justement pour cette raison que je suis obligé de t’ôter la vie. — Cela est étrange, répliqua le pêcheur, que vous vouliez absolument rendre le mal pour le bien. Le proverbe dit que qui fait du bien à celui qui ne le mérite pas, en est toujours mal payé. Je croyais, je l’avoue que cela était faux ; en effet, rien ne choque davantage la raison et les droits de la société ; néanmoins j’éprouve cruellement que cela n’est que trop véritable. — Ne perdons pas de temps, interrompit le génie ; tous tes raisonnements ne sauraient me détourner de mon dessein. Hâte-toi de dire comment tu souhaites que je te tue. »

La nécessité donne de l’esprit. Le pêcheur s’avisa d’un stratagème. « Puisque je ne saurais éviter la mort, dit-il au génie, je me soumets donc à la volonté de Dieu. Mais avant que je choisisse un genre de mort, je vous conjure par le grand nom de Dieu qui était gravé sur le sceau du prophète Salomon, fils de David, de me dire la vérité sur une question que j’ai à vous faire. »

Quand le génie vit qu’on lui faisait une adjuration qui le contraignait de répondre positivement, il trembla en lui-même, et dit au pêcheur : « Demande-moi ce que tu voudras, et hâte-toi. » Sur quoi le pêcheur lui dit : « Je voudrais savoir si effectivement vous étiez dans ce vase ; oseriez-vous en jurer par le grand nom de Dieu ? — Oui, répondit le génie, je jure par ce grand nom que j’y étais, et cela est très véritable. — En bonne foi, répliqua le pêcheur, je ne puis vous croire. Ce vase ne pourrait pas seulement contenir un de vos pieds ; comment se peut-il que votre corps y ait été renfermé tout entier ? — Je te jure pourtant, repartit le génie, que j’y étais tel que tu me vois. Est-ce que tu ne me crois pas, après le grand serment que je t’ai fait ? — Non vraiment, dit le pêcheur ; et je ne vous croirai point, à moins que vous ne me fassiez voir la chose. »

 Alors il se fit une dissolution du corps du génie, qui se changeant en fumée, s’étendit comme auparavant sur la mer et sur le rivage, et qui, se rassemblant ensuite, commença de rentrer dans le vase, et continua de même par une succession lente et égale, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus rien au dehors. Aussitôt il en sortit une voix qui dit au pêcheur : « Eh bien, incrédule pêcheur, me voici dans le vase ; me crois-tu présentement ? »

Le pêcheur, au lieu de répondre au génie, prit le couvercle de plomb, et ayant fermé promptement le vase : « Génie, lui cria-t-il, demande-moi grâce à ton tour, et choisis de quelle mort tu veux que je te fasse mourir. Mais non, il vaut mieux que je te rejette à la mer, dans le même endroit d’où je t’ai tiré ; puis je ferai bâtir une maison sur ce rivage, où je demeurerai, pour avertir tous les pêcheurs qui viendront y jeter leurs filets de bien prendre garde de repêcher un méchant génie comme toi, qui as fait serment de tuer celui qui te mettra en liberté. »

A ces paroles offensantes, le génie irrité fit tous ses efforts pour sortir du vase ; mais c’est ce qui ne lui fut pas possible, car l’empreinte du sceau du prophète Salomon, fils de David, l’en empêchait. Ainsi, voyant que le pêcheur avait alors l’avantage sur lui, il prit le parti de dissimuler sa tolère. « Pêcheur, lui dit-il d’un ton radouci, garde-toi bien de faire ce que tu dis. Ce que j’en ai fait n’a été qu’une plaisanterie, et tu ne dois pas prendre la chose sérieusement. — O génie, répondit le pêcheur, toi qui étais, il n’y a qu’un moment, le plus grand, et qui es à cette heure le plus petit de tous les génies, apprends que tes artificieux discours ne te serviront de rien. Tu retourneras à la mer. Si tu y as demeuré tout le temps que tu m’as dit, tu pourras bien y demeurer jusqu’au jour du jugement. Je t’ai prié, au nom le Dieu, de ne me pas ôter la vie, tu as rejeté mes prières ; je dois te rendre la pareille.

Le génie n’épargna rien pour tâcher de toucher le pêcheur : « Ouvre le vase, lui dit-il, donne-moi la liberté, je t’en supplie ; je te promets que tu seras content de moi. — Tu n’es qu’un traître, repartit le pêcheur. Je mériterais de perdre la vie, si j’avais l’imprudence de me fier à toi. Tu ne manquerais pas de me traiter de la même façon qu’un certain roi grec traita le médecin Douban. C’est une histoire que je te veux raconter ; écoute :

Traduit par Antoine Galland

Histoire du pêcheur

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